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Tête de jeune adulte aux yeux clos, le crâne fragmenté et lumineux, entourée de nuages orangés, symbolisant l'intense plasticité cérébrale et le potentiel des états de conscience élargis.

L’intérêt pour les thérapies assistées par psychédéliques grandit, soutenu par des études montrant leur potentiel pour traiter des troubles mentaux chez les adultes. Ces avancées concernent cependant majoritairement des participants au cerveau déjà mature. Une population reste dans un angle mort de la recherche : les adultes émergents, cette période de transition intense entre 18 et 29 ans. Traiter ce groupe comme un bloc homogène avec les adultes plus âgés ignore une réalité neurobiologique fondamentale. Le cerveau des jeunes adultes n’est pas achevé ; il est en pleine phase de maturation. En quoi ce développement cérébral change-t-il la donne ? Fait-il des jeunes adultes des candidats à part, entre opportunité thérapeutique et vulnérabilité accrue ?

Le cerveau du jeune adulte : un chantier neurologique en phase de finition

Loin d’être statique après 18 ans, le cerveau des jeunes adultes subit une réorganisation profonde et nécessaire pour stabiliser les fondations de la cognition adulte.

La maturation n’est pas terminée à 18 ans

L’idée que le cerveau est pleinement formé à la majorité légale est une simplification. Les recherches en neuro-imagerie montrent que le développement cérébral se poursuit activement jusqu’à 25 ans, voire plus tard 2. Cette maturation tardive concerne principalement le cortex préfrontal 1, 2.

Cette région, située à l’avant du cerveau, est le siège des fonctions cognitives dites supérieures : la prise de décision, la planification, le contrôle des impulsions et la régulation des émotions.

Chez le jeune adulte, le cortex préfrontal est la dernière zone à établir ses connexions définitives, affinant ainsi sa capacité à gérer des situations sociales et émotionnelles complexes 1.

L’élagage synaptique : ranger le cerveau pour l’âge adulte

Cette maturation n’est pas seulement une question de croissance, mais surtout de réorganisation. Le cerveau du jeune adulte subit un processus intense appelé élagage synaptique 1. Il s’agit d’une sorte de nettoyage ou d’optimisation : les connexions neuronales peu utilisées sont éliminées, tandis que les connexions les plus importantes et les plus sollicitées sont renforcées.

Ce processus est essentiel pour passer d’un cerveau adolescent, très adaptable mais parfois instable, à un cerveau adulte plus efficace et spécialisé. Les scientifiques décrivent cette phase comme une période critique neurobiologique 2. C’est une fenêtre durant laquelle les circuits de la cognition supérieure se stabilisent, influençant durablement le fonctionnement mental de l’individu 1, 2.

Psychédéliques : des psychoplastogènes dans un système en réorganisation

Les psychédéliques sont des psychoplastogènes, des substances qui favorisent la neuroplasticité. Mais que se passe-t-il lorsque l’on applique cet effet à un cerveau déjà en pleine réorganisation ?

Le terme psychoplastogène désigne une substance capable de promouvoir rapidement la plasticité neuronale, c’est-à-dire la capacité du cerveau à modifier ses connexions 8. Les psychédéliques classiques (LSD, psilocybine) en sont de parfaits exemples.

Des études suggèrent que ces composés agissent en rouvrant temporairement des fenêtres de plasticité similaires à celles observées durant les périodes critiques du développement 7. C’est en grande partie ce qui expliquerait leur potentiel thérapeutique chez les adultes : ils permettent au cerveau de réapprendre ou de se reconfigurer pour sortir de schémas de pensée rigides, comme ceux observés dans la dépression ou le stress post-traumatique.

La question centrale est donc la suivante : que se passe-t-il lorsque l’on applique un puissant accélérateur de plasticité 7, 8 à un cerveau qui se trouve déjà dans sa propre période critique naturelle de maturation 1, 2 ? L’interaction entre cette plasticité induite et la plasticité naturelle du jeune adulte reste l’une des grandes inconnues de la recherche actuelle.

L’enjeu de la plasticité : opportunité thérapeutique ou vulnérabilité accrue ?

Cette double plasticité, naturelle et induite, est un pari à double tranchant. Elle pourrait théoriquement décupler les bénéfices, mais aussi aggraver les risques de déstabilisation.

L’hypothèse de l’opportunité : un potentiel de changement décuplé ?

Sur le papier, l’hypothèse est séduisante. Le cerveau du jeune adulte, étant déjà flexible, pourrait être particulièrement réceptif aux effets d’une thérapie psychédélique. Cette super-plasticité pourrait théoriquement permettre des changements thérapeutiques plus profonds et durables 6.

Certains chercheurs avancent que cette période est cruciale pour le développement de l’identité, des valeurs et du bien-être 6. Une intervention bien menée à ce moment charnière pourrait aider à résoudre des blocages développementaux, consolider une trajectoire de vie positive et prévenir l’installation chronique de troubles mentaux 7. C’est l’espoir d’une intervention précoce et curative, plutôt que palliative.

Le risque de la déstabilisation : perturber une trajectoire naturelle

L’envers du décor est cependant bien réel. Intervenir avec des substances psychoactives puissantes pendant que le cortex préfrontal finalise son architecture n’est pas anodin. Des études sur l’exposition à d’autres substances (comme l’alcool ou le cannabis) montrent que perturber la maturation du cerveau à cet âge peut avoir des conséquences négatives durables sur la cognition et la régulation émotionnelle 3.

Le risque le plus documenté concerne la santé mentale. L’adolescence et le début de l’âge adulte constituent la fenêtre temporelle où émergent le plus souvent les troubles psychotiques, comme la schizophrénie 4. Il existe une inquiétude légitime : l’usage de psychédéliques, en augmentant l’entropie cérébrale (le désordre), pourrait agir comme un facteur de stress ou un déclencheur chez des individus biologiquement prédisposés 9. La prudence est donc de mise pour ne pas perturber une trajectoire de développement neurologique essentielle 3.

Adapter l’approche : l’absolue nécessité d’un cadre spécifique

Les protocoles de thérapie assistée par psychédéliques doivent être entièrement repensés pour cette population et non simplement copiés de ceux des adultes.

La quasi-totalité des protocoles de recherche actuels ont été conçus pour des adultes au cerveau mature et excluent systématiquement les moins de 18 ou 21 ans 5. Appliquer ces mêmes protocoles à des jeunes adultes sans adaptation serait ignorer leur neurobiologie unique.

L’accompagnement psychothérapeutique, déjà essentiel dans ces thérapies 8, devient absolument critique pour cette tranche d’âge. Le cerveau du jeune adulte, moins stable, a besoin d’un cadre (ou set and setting) encore plus rigoureux pour guider et intégrer l’expérience 7, 8. Il s’agit de s’assurer que la plasticité induite est canalisée de manière constructive vers la maturation et non vers la fragmentation.

À l’heure actuelle, les données spécifiques manquent cruellement 5, 6. La recherche doit impérativement s’atteler à définir les conditions de sécurité, les dosages et les approches thérapeutiques adaptées avant d’envisager une application clinique généralisée.

Repenser la thérapie pour la génération en transition

Le cerveau d’un jeune de 20 ans n’est pas celui d’une personne de 40 ans. Cette période de maturation intense est une fenêtre d’opportunité exceptionnelle, mais aussi de grande vulnérabilité.

Les thérapies psychédéliques offrent un potentiel théorique prometteur pour cette génération, en capitalisant sur une plasticité cérébrale naturelle. Cependant, les risques supplémentaires sont concrets : une possible interférence avec le développement neurologique final et une sensibilité accrue aux troubles psychiatriques graves.

La conclusion n’est donc pas de bannir ces thérapies, mais de faire preuve d’une extrême prudence. La recherche doit d’abord combler ses lacunes pour comprendre comment intervenir en toute sécurité dans cette période critique avant de proposer ces outils thérapeutiques à la génération en pleine transition.


💡 Cerveau en finition : faut-il un permis de construire pour les psychédéliques ?

La période 18-25 ans est celle de la dernière grande réorganisation de notre cerveau. L’idée d’y ajouter la neuroplasticité des psychédéliques ouvre des perspectives immenses, mais soulève des questions de sécurité fondamentales.

🧠 Pensez-vous que les bénéfices potentiels justifient de prendre des risques accrus pour cette tranche d’âge ? Ou faut-il attendre que le chantier soit terminé ?

💬 Partagez vos réflexions en commentaire ! Le débat sur la sécurité et l’éthique de ces thérapies pour les jeunes adultes ne fait que commencer. 👇


Sources :

    1. Pöpplau, J.A. et al. (2024). Reorganization of adolescent prefrontal cortex circuitry is required for mouse cognitive maturation
    2. Larsen, B. & Luna, B. (2018). Adolescence as a neurobiological critical period for the development of higher-order cognition
    3. Steinfeld, M.R. & Torregrossa, M.M. (2023). Consequences of adolescent drug use
    4. Kelleher, I. (2025). Annual Research Review: Psychosis in children and adolescents…
    5. Rajwani, K. (2022). Should Adolescents be Included in Emerging Psychedelic Research?
    6. Payne, J.E. et al. (2025). The Relationship Between Psychedelic Use and Positive Adult Development in Emerging Adulthood: An Integrative Review
    7. Lepow, L. et al. (2021). Critical Period Plasticity as a Framework for Psychedelic-Assisted Psychotherapy
    8. Jones, J.L. (2025). Harnessing neuroplasticity with psychoplastogens: the essential role of psychotherapy in psychedelic treatment optimization
    9. Simonsson, O. et al. (2023). Psychedelic use and psychiatric risks

 

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