Le microbiote intestinal influence notre santé mentale via l'axe intestin-cerveau. Cette connexion pourrait moduler l'efficacité et la variabilité des thérapies psychédéliques, ouvrant des pistes pour une approche plus personnalisée des soins en psychiatrie.
La crise climatique n’est plus une menace lointaine ; elle est devenue une réalité qui impacte non seulement les écosystèmes, mais aussi notre santé mentale. Des termes nouveaux comme “éco-anxiété”, “deuil écologique” ou “solastalgie” sont désormais couramment utilisés pour décrire le fardeau psychologique croissant, en particulier chez les jeunes. Cette détresse, bien que rationnelle, peut mener à un sentiment d’impuissance ou de “paralysie écologique”. Face à cette crise de la conscience et de la connexion, un outil thérapeutique inattendu pourrait-il émerger ? Et si une partie de la solution à la crise écologique se trouvait dans une transformation de notre perception du monde et de nous-mêmes ?
L’éco-anxiété et la solastalgie : la crise climatique comme fardeau psychologique
La dégradation de l’environnement n’est pas qu’une statistique ; c’est une source de détresse psychologique vécue, nommée éco-anxiété, deuil écologique ou solastalgie.
La crise climatique a des conséquences directes sur notre bien-être psychologique 13, 17. Les psychiatres et les chercheurs voient émerger de nouvelles formes de souffrance 24. Celles-ci ne sont pas des pathologies au sens classique, mais des réponses fonctionnelles et rationnelles à une menace existentielle réelle 21.
Les visages de la détresse climatique
Plusieurs termes décrivent cette souffrance. L’éco-anxiété est une peur chronique de l’effondrement environnemental 15, 17. Le deuil écologique est le chagrin ressenti face aux pertes, qu’elles soient déjà arrivées (comme la disparition d’espèces) ou anticipées 21. La solastalgie est un concept plus spécifique : c’est la détresse que l’on ressent lorsque l’environnement dans lequel on vit, notre “chez-soi”, est dégradé sous nos yeux 19. C’est une forme de mal du pays sans avoir quitté sa maison.
Une charge inégalement répartie
Cette charge psychologique est lourde. Elle touche particulièrement les populations les plus dépendantes de la nature, comme les agriculteurs ou les communautés autochtones, mais aussi les jeunes 3, 15. Savoir que l’avenir est menacé génère un stress chronique qui peut mener à la dépression ou à un sentiment de paralysie 13, 23.
Recréer le lien : comment les psychédéliques augmentent la relation à la nature
Des études montrent que les psychédéliques, notamment la psilocybine, provoquent une augmentation durable du sentiment de connexion à la nature.
Le problème fondamental pourrait être une déconnexion. Nos sociétés modernes, de plus en plus urbanisées et technologiques, ont favorisé une déconnexion psychologique d’avec le monde naturel 10, 11. Cette déconnexion est non seulement liée à une moins bonne santé mentale, mais aussi aux comportements écologiquement destructeurs 11. Nous protégeons ce que nous aimons. Nous aimons ce à quoi nous nous sentons connectés.
C’est ici que les psychédéliques entrent en jeu. Des recherches récentes démontrent que les expériences psychédéliques peuvent induire des augmentations significatives et durables de la “relation à la nature” 1, 2. La relation à la nature (ou Nature Relatedness) est un trait psychologique mesurable, défini comme un sentiment d’unité et d’appartenance au monde naturel 10.
Une étude comparative de 2023 a analysé l’impact de différentes substances. Sa conclusion est claire : parmi les utilisateurs de psychédéliques, c’est la consommation passée de psilocybine (le composé des champignons magiques) qui est le prédicteur le plus fiable et le plus puissant d’un niveau élevé de relation à la nature 2. Cet effet semble plus marqué qu’avec le LSD ou la DMT. Cette connexion retrouvée est un prédicteur puissant d’attitudes et de comportements pro-environnementaux 11.
Le mécanisme de “l’unselfing” : dissoudre l’ego pour dissoudre le matérialisme
Les psychédéliques facilitent des expériences de dissolution de l’ego, ou unselfing, qui peuvent modifier nos valeurs fondamentales et nous éloigner du matérialisme.
Comment une substance peut-elle changer notre rapport au monde ? Le mécanisme psychologique clé semble être l’expérience de transcendance de soi (ou Self-Transcendent Experience, STE) 11, 12.
Les psychédéliques sont de puissants facilitateurs de ces expériences. Ils provoquent ce que la philosophe Iris Murdoch nommait “unselfing” : une dissolution temporaire de l’ego 12. Durant cette expérience, la focalisation sur soi, nos ruminations et nos intérêts personnels s’estompent. Les frontières entre le “moi” et le “monde” deviennent poreuses 25. Cette perte de la priorité accordée à l’ego permet un changement radical de perspective 12.
Les conséquences sont profondes. Des études ont montré que les expériences psychédéliques peuvent modifier durablement nos croyances métaphysiques fondamentales 7. Elles entraînent une diminution significative de l’adhésion au physicalisme ou matérialisme (la vision du monde comme purement matériel et non conscient). Parallèlement, elles provoquent une augmentation de l’adhésion au panpsychisme, la croyance que la conscience est une qualité fondamentale de l’univers, partagée par le monde vivant 7. Ce changement de valeurs est crucial. L’égocentrisme et le matérialisme sont considérés comme des moteurs psychologiques de la surconsommation et, par extension, de la crise climatique 11.
De l’individu au collectif : “communitas” et empathie pour l’action climatique
Au-delà de l’individu, les expériences psychédéliques de groupe favorisent l’empathie et un sentiment d’humanité partagée, essentiels à l’action collective.
La crise climatique ne peut être résolue par la seule action individuelle, elle exige une réponse collective. Les recherches suggèrent que les psychédéliques pourraient également jouer un rôle à ce niveau, en améliorant nos compétences sociales et relationnelles 8, 9.
La psilocybine et la MDMA, par exemple, ont démontré leur capacité à augmenter significativement l’empathie 8. L’empathie est la capacité à comprendre et à partager les sentiments d’autrui. Cette augmentation de l’empathie est directement liée à une augmentation du comportement prosocial, c’est-à-dire des actions visant à aider les autres 8. Le comportement pro-environnemental étant une forme de comportement prosocial (agir pour le bien commun plutôt que pour soi seul), cette augmentation de l’empathie pourrait être un moteur clé du passage à l’action écologique 11.
De plus, lorsque les psychédéliques sont utilisés dans un contexte de groupe (comme les retraites ou les cérémonies), ils peuvent induire un puissant sentiment de lien social et d’humanité partagée. Les chercheurs appellent cela la “communitas” 9. C’est un état où les barrières sociales et les hiérarchies s’estompent au profit d’un sentiment intense d’unité et d’appartenance au groupe. Cette expérience de communitas s’est révélée être un prédicteur d’une augmentation durable du bien-être et de la connexion sociale. Elle favorise la cohésion nécessaire pour transformer la conscience individuelle en action collective 9.
L’hypothèse d’une “thérapie éco-psychédélique”
L’alliance des psychédéliques et de la nature pourrait non seulement traiter l’éco-anxiété, mais aussi s’attaquer à ses causes psychologiques profondes, comme la déconnexion.
Ces différentes découvertes ouvrent la voie à deux applications thérapeutiques distinctes.
La première application vise à traiter le symptôme. Elle consisterait à utiliser les thérapies assistées par psychédéliques (TAP), notamment la psilocybine, pour traiter directement le deuil écologique et l’éco-anxiété 18. L’approche serait similaire à celle utilisée avec succès pour la dépression résistante ou l’anxiété en fin de vie, en aidant les patients à accepter des réalités difficiles et à trouver un nouveau sens 14.
La seconde application, plus novatrice, vise à traiter la cause. Il s’agirait de développer un nouveau modèle de thérapie spécifiquement axé sur l’augmentation de la relation à la nature 1. L’objectif ne serait plus seulement de soigner la détresse, mais d’utiliser les psychédéliques comme de puissants catalyseurs de “biophilie” (l’amour du vivant) 1, 11.
Pour cela, le contexte (Set and Setting) est fondamental. Des études suggèrent qu’il existe un effet synergique puissant entre la substance et l’environnement 1. Une expérience psychédélique menée en immersion dans la nature, ou dans une pièce intégrant fortement des éléments naturels, potentialise l’augmentation de la relation à la nature. Cette alliance thérapeutique pourrait être une clé pour guérir la déconnexion psychologique profonde qui alimente à la fois notre détresse et la crise climatique elle-même.
Contextes, risques et sagesses ancestrales
Cette approche n’est pas une solution miracle ; elle comporte des risques psychiatriques et doit s’inspirer des sagesses autochtones qui ont toujours su que nous étions connectés.
L’enthousiasme pour le potentiel thérapeutique des psychédéliques doit être tempéré par une évaluation rigoureuse des risques. Ces substances ne sont pas une panacée et leur usage n’est pas anodin 5, 16, 18.
Risques psychiatriques et sélection des patients
Les psychédéliques comportent des contre-indications claires. Les essais cliniques modernes excluent systématiquement les individus ayant des antécédents personnels ou familiaux de troubles psychotiques, comme la schizophrénie, ou de trouble bipolaire 5, 14, 16. Induire une expérience aussi intense chez des personnes vulnérables pourrait aggraver ou déclencher des symptômes psychotiques. Un encadrement médical et thérapeutique strict est donc indispensable pour évaluer le rapport risque/bénéfice pour chaque patient 16.
Le fossé entre l’attitude et l’action
Augmenter la relation à la nature ou l’intention pro-environnementale ne garantit pas un passage à l’action. C’est le fameux “fossé attitude-comportement” 22. Une personne peut se sentir profondément connectée à la nature après une expérience, mais être freinée dans ses actions par des barrières psychologiques bien réelles. Le manque de connaissances, la pression sociale, les habitudes de consommation ancrées ou des objectifs contradictoires (comme le besoin de prendre l’avion pour le travail) sont des obstacles que la seule dissolution de l’ego ne suffit pas à lever 22.
Sagesse ancestrale et connexion
L’idée que la conscience imprègne la nature et que l’humain est intrinsèquement lié au vivant n’est pas nouvelle. C’est une vision du monde fondamentale pour de nombreuses cultures autochtones à travers le globe 4, 20. Ces perspectives, qui honorent les lieux sacrés et l’esprit du vivant, ont été historiquement marginalisées, voire activement détruites, par une vision du monde colonialiste et matérialiste 4.
Ironiquement, les recherches modernes sur les psychédéliques semblent offrir à la culture occidentale un moyen de “redécouvrir” scientifiquement cette interconnexion profonde 7, 12. Plutôt que de réinventer la roue, l’avenir des thérapies éco-psychédéliques pourrait résider dans une approche humble, s’inspirant de ces sagesses ancestrales pour réapprendre à honorer notre relation au monde naturel 4.
Changer de conscience pour changer le climat
La crise climatique est, fondamentalement, une crise de la perception. Elle est née d’une vision du monde qui sépare l’humain de la nature, qui réduit le vivant à une ressource et qui valorise l’accumulation matérielle comme une fin en soi.
Les recherches sur les psychédéliques suggèrent qu’ils pourraient être des outils puissants pour guérir cette déconnexion. Ils ne sont pas une solution miracle. Mais ils semblent capables de catalyser quelque chose d’essentiel.
En induisant des états d’unselfing, ces substances semblent capables de modifier durablement nos valeurs, d’accroître notre empathie et de renforcer notre sentiment d’appartenance au monde naturel. Il ne s’agit pas seulement de traiter l’éco-anxiété, mais potentiellement de s’attaquer à ses racines psychologiques profondes.
Le défi reste immense. Il ne suffit pas de changer les consciences individuelles pour surmonter les barrières structurelles et psychologiques à l’action. Mais en offrant une expérience vécue de l’interconnexion, les psychédéliques pourraient aider à construire la fondation d’une nouvelle conscience écologique, plus humble et plus engagée.
💡 Éco-anxiété, dissolution de l’ego et conscience planétaire.
La crise climatique est aussi une crise de la perception. En nous reconnectant à la nature et aux autres, les thérapies psychédéliques ouvrent une voie pour transformer notre détresse écologique en action collective.
🧠 Pensez-vous que ces expériences de “connexion” peuvent réellement changer nos comportements face à l’urgence climatique ?
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Sources :
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- Forstmann, M. et al. (2023). Among psychedelic-experienced users, only past use of psilocybin reliably predicts nature relatedness
- Man, L. L. Y. et al. (2024). Eco-Depression and Eco-Anxiety Among Youth: A Sex and Gender Analysis
- Yellow Cloud, Q., & Redvers, N. (2023). Honoring Indigenous Sacred Places and Spirit in Environmental Health
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- Barbiero, G., & Berto, R. (2021). Biophilia as Evolutionary Adaptation: An Onto- and Phylogenetic Framework for Biophilic Design
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- Maslin, M. et al. (2025). Understanding the health impacts of the climate crisis
- Cianconi, P. et al. (2023). Eco-emotions and Psychoterratic Syndromes: Reshaping Mental Health Assessment Under Climate Change
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