Face à l'urgence sanitaire mondiale du suicide, la recherche scientifique explore de nouvelles approches thérapeutiques. Les investigations sur psilocybine, MDMA et ayahuasca révèlent des signaux encourageants mais soulèvent des défis méthodologiques complexes pour une intégration responsable.

Les effets des psychédéliques varient selon la personne. Chez les femmes, un facteur souvent négligé entre en jeu, le cycle menstruel. Les hormones comme l’œstrogène et la progestérone influencent les récepteurs cérébraux ciblés par ces substances. Ces variations modifient la sensibilité du cerveau, l’intensité perçue ou la durée des effets.
Comment tenir compte de cette réalité dans les protocoles ? Peut-on mieux adapter les séances aux rythmes hormonaux ?
Hormones et psychédéliques : pourquoi c’est lié ?
Les fluctuations hormonales influencent directement la sensibilité aux psychédéliques.
Dans le cerveau, les substances psychédéliques activent un récepteur bien connu : le 5-HT2A, associé à la sérotonine. C’est ce récepteur qui déclenche les effets perceptuels, émotionnels et cognitifs typiques. Or, ce même récepteur est influencé par les hormones sexuelles féminines. Lorsque les taux d’œstrogène augmentent, comme en phase folliculaire, la sensibilité du 5-HT2A peut aussi varier 1,2.
Des travaux en neuroendocrinologie ont montré que les œstrogènes et la progestérone modulent l’expression et la réactivité des circuits sérotoninergiques1. Cela signifie que, chez une femme, la réponse à une dose de psychédélique peut fluctuer naturellement au cours du mois, selon son cycle hormonal 10.
Ce constat ouvre une perspective nouvelle : celle d’une médecine psychédélique personnalisée, qui tiendrait compte non seulement de la dose et du contexte, mais aussi du moment du cycle menstruel où l’intervention a lieu 10.
Œstrogènes et progestérone : amplificateurs ou freins ?
Ces deux hormones clés modifient la manière dont le cerveau réagit aux substances psychédéliques.
L’œstrogène (appelé aussi estradiol) est une hormone produite naturellement en première partie du cycle, avant l’ovulation. Elle tend à augmenter la sensibilité du cerveau à la sérotonine, en renforçant l’activité de ses récepteurs, notamment le 5-HT2A 1, 2. Elle stimule aussi la production de certaines protéines, comme le BDNF, un facteur de croissance qui aide les neurones à créer de nouvelles connexions 4.
La progestérone, elle, domine la seconde partie du cycle, appelée phase lutéale (c’est la période après l’ovulation et avant les règles). Elle aurait un effet opposé : elle pourrait réduire l’efficacité des récepteurs de la sérotonine ou freiner leur activation 1. En clair, elle tend à atténuer les effets perçus d’un psychédélique, à dose équivalente 2.
Ces différences ne sont pas visibles à l’œil nu, mais elles peuvent changer profondément l’expérience vécue. Une séance menée en phase folliculaire (avec beaucoup d’œstrogène) pourrait être plus intense ou plus marquante qu’une séance identique en phase lutéale10.
Le duo moléculaire BDNF et mTOR
Ces deux éléments agissent un peu comme des “coachs neuronaux” : ils encouragent le cerveau à créer de nouvelles connexions après une séance psychédélique.
Le BDNF, ou facteur neurotrophique dérivé du cerveau, est une protéine qui favorise la croissance et la plasticité des neurones. Il est souvent comparé à un engrais naturel du cerveau. Après la prise de psychédéliques, son niveau augmente, ce qui rend le cerveau plus réceptif au changement 4, 5.
Ce BDNF active à son tour une autre voie appelée mTOR. Ce système cellulaire coordonne la fabrication de nouvelles protéines dans les neurones, ce qui facilite la réorganisation des circuits cérébraux 4. C’est un mécanisme central dans les effets thérapeutiques observés après certaines séances bien encadrées.
Des chercheurs ont récemment montré que les psychédéliques, comme la psilocybine, peuvent se lier directement au récepteur du BDNF (appelé TrkB), ce qui déclenche cette cascade 4. Ce lien pourrait expliquer pourquoi les effets sont parfois plus marqués lorsque l’œstrogène est élevé : cette hormone elle-même favorise l’expression du BDNF dans le cerveau 1.
La pilule : un paramètre clé des essais cliniques
La contraception hormonale modifie le profil hormonal du cerveau. Elle peut donc fausser la lecture des effets d’un psychédélique dans les études cliniques.
Les contraceptifs oraux combinés, qui contiennent de l’œstrogène synthétique et un progestatif, maintiennent les taux hormonaux artificiellement stables. Cela empêche les variations naturelles du cycle, en particulier la hausse d’œstrogènes qui précède l’ovulation 2. Le cerveau est alors dans un état hormonal « plat », qui ne reflète aucune phase physiologique du cycle.
Des chercheurs ont montré que cette stabilité hormonale peut réduire la connectivité entre certaines régions du cerveau, comme l’amygdale et le réseau du mode par défaut (MPD), deux zones souvent impliquées dans les effets émotionnels des psychédéliques 3. Cela pourrait expliquer pourquoi les effets sont parfois moins marqués chez les participantes sous pilule.
Ce point est crucial pour les essais cliniques. Si l’on ne prend pas en compte le statut contraceptif, on mélange des profils biologiques très différents. Cela rend les résultats plus difficiles à interpréter et limite leur portée pour la pratique clinique 10.
Choisir le bon moment du cycle
Selon le jour du cycle menstruel, le cerveau ne réagit pas de la même manière à un psychédélique.
Le cycle menstruel se divise en plusieurs phases, chacune marquée par un profil hormonal distinct. En début de cycle, pendant la phase folliculaire, l’œstrogène monte progressivement. Après l’ovulation, c’est la progestérone qui domine pendant la phase lutéale. Ces variations influencent la chimie cérébrale, notamment la réactivité du système sérotoninergique 1.
Des chercheurs ont commencé à tester l’idée que certaines fenêtres du cycle pourraient être plus favorables à une intervention thérapeutique. Dans une étude sur le sevrage tabagique, appelée Project PHASE6, le fait de programmer l’arrêt du tabac au 6ᵉ ou 7ᵉ jour du cycle (donc en phase folliculaire) a permis d’augmenter la motivation, de réduire les symptômes de manque et d’augmenter les chances de succès.
Transposée au champ des psychédéliques, cette approche suggère que le moment où l’on place une séance pourrait avoir un effet sur sa puissance, sa portée émotionnelle ou même son intégration. Choisir une fenêtre hormonale favorable pourrait renforcer les bénéfices pour certaines patientes.
Exemple concret : l’étude Project PHASE
Un essai mené sur le sevrage tabagique montre comment le bon timing hormonal peut améliorer les résultats d’une intervention comportementale.
L’étude Project PHASE 6, menée auprès de femmes souhaitant arrêter de fumer, a testé une idée simple : fixer la date d’arrêt du tabac à un moment précis du cycle. Un groupe de participantes a vu son objectif fixé entre le 6ᵉ et le 8ᵉ jour après le début des règles, soit en phase folliculaire.
Résultat : cette stratégie a été bien acceptée, bien suivie, et a permis de réduire les symptômes de manque. Les taux de satisfaction étaient très élevés, et la plupart des participantes ont estimé que ce calendrier était cohérent avec leur ressenti corporel.
Bien que cette étude ne portait pas sur des psychédéliques, elle illustre clairement que le moment du cycle peut devenir une variable thérapeutique. Elle ouvre la voie à des essais similaires, cette fois dans le domaine de la santé mentale ou de l’addiction assistée par psychédéliques.
Tableau pratique : quel jour pour quel objectif ?
Voici une synthèse simple des trois grandes phases du cycle menstruel et de leur impact potentiel sur une séance psychédélique.
Phase du cycle | Jours indicatifs | Profil hormonal | Effet potentiel sur la séance |
---|---|---|---|
Folliculaire précoce | J1–J5 | Hormones basses, saignement | Fatigue possible, instabilité émotionnelle |
Folliculaire moyenne | J6–J12 | ↑ Œstrogène | Sensibilité accrue, ouverture émotionnelle, plasticité élevée 1, 4 |
Ovulatoire | J13–J15 | Pic d’œstrogène | Effets amplifiés, mais instabilité possible |
Lutéale | J16–J28 | ↑ Progestérone | Effets atténués, tolérance plus variable 1, 2 |
Ce tableau reste indicatif. Chaque personne a un cycle unique et d’autres facteurs (contraception, stress, sommeil) peuvent influencer l’expérience. Il s’agit ici d’ouvrir une piste de réflexion sur un calendrier thérapeutique individualisé.
Transitions majeures : postpartum, péri- et post-ménopause
Hors du cycle menstruel, certains états hormonaux restent essentiels à intégrer en recherche psychédélique.
Les phases de transition hormonale, comme le postpartum ou la ménopause, bouleversent l’équilibre du cerveau. Les variations rapides d’œstrogène et de progestérone peuvent affecter l’humeur, le sommeil et la capacité d’adaptation émotionnelle. Ces états sont parfois associés à des troubles dépressifs résistants ou à des symptômes anxieux complexes 7, 8.
Ce sont aussi des périodes où les patientes se trouvent souvent exclues des essais cliniques : le risque est jugé trop élevé, ou les données trop variables. Pourtant, ces contextes représentent des opportunités importantes pour la recherche, à condition d’être bien encadrées.
Deux cas méritent aujourd’hui un regard plus attentif : la dépression post-partum et la périménopause. Dans les deux situations, des études récentes ou en cours commencent à intégrer les psychédéliques comme pistes thérapeutiques. Et les institutions de santé publique s’y intéressent de plus en plus.
Post-accouchement : un essai de phase II prometteur
La chute hormonale rapide après un accouchement peut déclencher une dépression intense. Des chercheurs testent aujourd’hui de nouvelles pistes thérapeutiques.
La dépression post-partum concerne jusqu’à 1 femme sur 7 après la naissance d’un enfant. Elle survient dans un contexte de baisse brutale des niveaux d’œstrogène et de progestérone, avec des symptômes pouvant inclure tristesse, anxiété, épuisement ou déconnexion affective.
Un essai de phase II est en cours 7 pour tester les effets du RE104, un dérivé de la psilocine, dans ce contexte. Ce composé a une durée d’action courte et des effets proches de ceux de la psilocybine. L’étude évalue son efficacité sur l’humeur et la tolérance chez des femmes en postpartum, dans un protocole très encadré.
Ces travaux sont encore préliminaires, mais ils montrent qu’il est possible d’adapter les approches psychédéliques à des profils hormonaux complexes, à condition d’y intégrer un suivi médical rigoureux.
Périménopause : la fenêtre financée par le NIH
La transition vers la ménopause entraîne de fortes fluctuations hormonales. Ces bouleversements sont désormais reconnus comme un enjeu de santé mentale à part entière.
La périménopause commence plusieurs années avant l’arrêt définitif des règles. Elle se caractérise par des cycles irréguliers, une baisse progressive des œstrogènes et une instabilité des récepteurs hormonaux dans le cerveau. Ces changements peuvent s’accompagner de troubles du sommeil, de l’humeur, d’anxiété ou d’irritabilité 8.
Le National Institute of Mental Health (NIH) a lancé en 2024 un appel à projets dédié aux troubles de l’humeur et de la psychose liés à la ménopause 8. Ce financement encourage des études ciblées sur cette population, y compris avec des approches innovantes comme les psychédéliques.
Ces initiatives soulignent un tournant : la reconnaissance officielle que ces états hormonaux ne doivent plus être exclus de la recherche. Au contraire, ils offrent une occasion unique de penser des protocoles adaptés, là où les traitements conventionnels échouent souvent.
Intégrer les hormones dans les protocoles d’essai
De plus en plus d’équipes de recherche proposent d’ajouter le statut hormonal comme variable de référence dans les essais cliniques.
Jusqu’ici, la plupart des essais cliniques excluaient les participantes enceintes, sous contraception ou ménopausées. Même lorsqu’elles étaient incluses, peu d’études documentaient leur phase de cycle, leur statut hormonal ou leur contraception 10. Cela fausse les comparaisons et complique l’interprétation des résultats.
Un changement s’amorce. Des chercheurs plaident aujourd’hui pour des essais dits stratifiés par profil hormonal. Cela implique de recueillir des données précises : date du dernier cycle, type de contraception, dosage d’estradiol, de progestérone ou de SHBG dans le sang 10.
Cette approche permettrait de mieux comprendre la variabilité des effets observés chez les femmes, d’anticiper certains effets secondaires et, à terme, de mieux adapter les doses ou le moment des séances. Elle contribuerait aussi à une médecine psychédélique plus équitable et individualisée.
Check-list clinicien : passer à la pratique
Cette synthèse regroupe les recommandations pratiques issues des recherches récentes. Elle peut servir de repère pour mieux intégrer les facteurs hormonaux dans l’accompagnement psychédélique.
- Poser les bonnes questions : cycle menstruel régulier ou non ? Date des dernières règles ? Contraception hormonale ou pas ? Ces données permettent de mieux situer la patiente dans son profil endocrinien 10.
- Repérer la phase du cycle : proposer un calendrier ou une application pour identifier la phase en cours (J1 = premier jour des règles). Ce suivi est utile pour planifier les séances ou interpréter les effets observés 6.
- Adapter le moment de la séance : privilégier, quand c’est possible, la phase folliculaire moyenne (J6–J12), période où les taux d’œstrogènes sont élevés et les réponses cérébrales plus favorables 1, 6.
- Informer la patiente : expliquer que les effets peuvent varier selon la période hormonale, sans surévaluer ni minimiser ce facteur. Une simple discussion peut favoriser l’alliance thérapeutique 10.
- Suivi post-séance : noter la phase du cycle au moment de la prise, pour faciliter l’analyse des effets et ajuster les protocoles si besoin 10.
- Si la patiente est sous contraception ou ménopausée : documenter ce statut hormonal même en l’absence de cycle actif. Certains protocoles intègrent déjà cette variable dans l’analyse des résultats 9.
Ce que montre la recherche actuelle
- Les hormones sexuelles comme l’œstrogène et la progestérone modulent l’action des psychédéliques en influençant les récepteurs de la sérotonine.
- La phase folliculaire, marquée par une montée des œstrogènes, semble favoriser la plasticité neuronale et renforcer les effets des substances comme la psilocybine.
- La contraception hormonale modifie le profil hormonal et peut réduire la sensibilité aux psychédéliques. Ce facteur doit être documenté dans les études et la pratique clinique.
- Des essais ciblés (post-partum, périménopause) montrent qu’il est possible d’inclure des profils hormonaux complexes, à condition d’adapter les protocoles.
- La recherche appelle à une meilleure prise en compte du statut hormonal dans les essais cliniques, afin de garantir des données plus précises et des pratiques plus justes.
Ce que révèlent ces travaux, c’est qu’il ne suffit plus de considérer le sexe comme une variable démographique. Le statut hormonal actif, qu’il soit cyclique, stable ou transitoire, influence profondément les effets thérapeutiques des psychédéliques. Intégrer cette dimension dans la recherche et la pratique représente une étape essentielle vers une approche plus fine, plus juste, et mieux adaptée aux patientes.
🌙 Thérapies psychédéliques : faut-il vraiment ignorer les hormones ?
Cycle menstruel, contraception, ménopause… Ces paramètres influencent la façon dont le cerveau réagit aux psychédéliques. Pourtant, ils restent peu intégrés dans les protocoles.
🧠 Et vous, pensiez-vous que le moment du cycle pouvait modifier l’expérience ? Que ce soit en séance, en intégration ou en suivi clinique ?
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Sources:
- Shadani, S. (2024). Potential Differences in Psychedelic Actions Based on Biological Sex
- Chesak, J. (2023). Estrogen Impacts the Effects of Psilocybin for Women
- Haase, G. (2024). Effects of Oral Contraceptive Pills on Brain Networks: A Replication and Extension
- Moliner, R. (2023). Psychedelics Promote Plasticity by Directly Binding to BDNF Receptor TrkB
- Yu, S.-J. (2024). Neuroprotective Effects of Psilocybin in a Rat Model of Stroke
- Allen, A. M. et al. (2021). Feasibility and Acceptability of a Menstrual-Cycle-Timed Smoking-Cessation Intervention (Project PHASE)
- Nonacs, R. (2024). Phase 2 Trial of RE104 for Post-partum Depression
- National Institute of Mental Health (2024). Mood and Psychosis Symptoms during the Menopause Transition (PAR-25-282)
- Carhart-Harris, R. (2024). Neural and Physiological Correlates of Psychedelic Sub-states (NCT05698511)
- Cohen, Z. Z. & Blest-Hopley, G. (2025). Females in Psychedelic Research: A Perspective for Advancing Research and Practice
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