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Profil latéral d’une jeune femme, yeux clos, baignée d’une lumière douce ; son buste et sa tête en transparence révèlent un réseau lumineux de racines/mycélium et de petites pousses florales dorées qui s’élèvent vers le cerveau, illustrant la connexion entre psilocybine, régénération neuronale et processus de guérison intérieure.

L’anorexie mentale résiste souvent aux traitements classiques, en particulier chez les patientes adultes. Plusieurs études suggèrent que certains cas pourraient s’ancrer dans un vécu traumatique précoce, associé à des mécanismes de dissociation. Dans ce contexte, la psilocybine est explorée comme levier thérapeutique potentiel, notamment pour assouplir les schémas cognitifs rigides et faciliter la réintégration de souvenirs fragmentés. Peut-elle réellement agir sur les racines psychologiques de ce trouble ? Et dans quelles conditions pourrait-elle être utilisée de manière sûre et encadrée ?

Pourquoi l’anorexie reste la maladie mentale la plus létale

Mortalité, rechutes et rigidité cognitive soulignent l’urgence d’explorer d’autres approches.

L’anorexie mentale se distingue par une mortalité supérieure à celle de toutes les autres pathologies psychiatriques, avec un risque estimé à six fois plus élevé que dans la population générale 9. Ce taux s’explique par les complications somatiques liées à la dénutrition, les risques suicidaires et la chronicité des parcours. Les formes sévères ou durables résistent souvent aux traitements standards, même lorsqu’ils combinent suivi médical, approche nutritionnelle et soutien psychothérapeutique.

Chez les adultes, le taux de rechute après hospitalisation reste élevé, et les résultats à long terme demeurent incertains. Les patientes évoquent souvent une difficulté à se détacher de l’identité liée à la maladie et une relation ambivalente aux soins. Ces éléments ont conduit plusieurs équipes à considérer que certaines formes d’anorexie pourraient relever de mécanismes défensifs profonds, difficilement modifiables par des approches uniquement comportementales ou nutritionnelles.

Quand le traumatisme fonde le trouble alimentaire

Une majorité de patients rapportent des abus précoces, souvent oubliés ou dissociés.

Plusieurs études ont mis en évidence une prévalence élevée d’expériences traumatiques durant l’enfance chez les personnes souffrant d’anorexie mentale 9, 10. Il s’agit le plus souvent de violences émotionnelles, physiques ou sexuelles, parfois rapportées avec un délai important, voire retrouvées uniquement par recoupement thérapeutique. Dans certains cas, les souvenirs liés au trauma semblent fragmentés, flous ou absents, ce qui suggère un processus dissociatif actif.

Ce type de dissociation n’implique pas une amnésie globale, mais une déconnexion émotionnelle vis-à-vis de certains vécus. Ce phénomène peut participer à la formation de stratégies de contrôle rigides, comme la restriction alimentaire. L’anorexie fonctionnerait alors non seulement comme une tentative de reprise de contrôle sur le corps, mais aussi comme un système d’évitement émotionnel, ancré dans une mémoire autobiographique fragmentée.

Ce que nous apprend la neurobiologie des psychédéliques

La psilocybine agit sur les réseaux rigides du cerveau en abaissant la domination des croyances haut-niveau.

La psilocybine, qui appartient à la classe des psychédéliques sérotoninergiques, agit principalement en tant qu’agoniste des récepteurs 5-HT2A. Elle modifie transitoirement l’organisation de réseaux cérébraux impliqués dans la perception, le contrôle exécutif et la mémoire émotionnelle 6. Ce mécanisme constitue le fondement du modèle REBUS, selon lequel les psychédéliques diminuent l’influence excessive des prédictions cognitives rigides, souvent impliquées dans les troubles psychiatriques 6.

Dans l’anorexie mentale, cette rigidité se manifeste par des schémas persistants autour du corps, de la valeur personnelle ou du contrôle alimentaire. La désynchronisation fonctionnelle observée après psilocybine 7 pourrait favoriser un accès plus souple aux contenus émotionnels et soutenir une reconfiguration temporaire de l’activité mentale, utile dans un cadre thérapeutique structuré.

Dissociation et voix anorexique : la tyrannie silencieuse

La voix interne de l’anorexie pourrait être un écho dissociatif des blessures précoces.

Certaines personnes atteintes d’anorexie mentale décrivent une voix intérieure autoritaire, critique et menaçante, perçue comme distincte de leur volonté consciente. Ce phénomène, parfois qualifié de “voix anorexique”, est étudié comme une manifestation d’un processus dissociatif secondaire à un traumatisme 8. Loin d’être une hallucination, cette voix fonctionne comme un discours interne rigide qui impose des règles, culpabilise et renforce les comportements restrictifs.

Les travaux de Pugh et al. (2018) 8 suggèrent que cette voix pourrait refléter une forme de protection psychique, issue d’expériences précoces de maltraitance ou de négligence. En maintenant une distance avec certaines émotions, elle permettrait à la personne d’éviter de ressentir à nouveau des états internes trop douloureux ou menaçants. Cette dynamique pourrait expliquer l’ambivalence fréquente face à la guérison : la voix joue un rôle protecteur, mais elle enferme aussi la personne dans un rapport rigide à elle-même.

Effets cliniques observés : souvenirs retrouvés, symptômes réduits

L’émergence de souvenirs traumatiques sous psilocybine accompagne des améliorations durables.

Des essais cliniques récents ont commencé à explorer les effets potentiels de la psilocybine dans le traitement de l’anorexie mentale. Plusieurs équipes ont documenté sa faisabilité, son acceptabilité, et dans certains cas, l’émergence de contenus mnésiques liés à des vécus traumatiques précoces. Ces observations restent limitées mais permettent de poser les premiers jalons d’une approche ciblant la dynamique psychique sous-jacente au trouble.

UC San Diego : deux cas documentés de mémoire traumatique réintégrée

Dans l’étude de Peck et al. (2025) 1, deux patientes adultes ont reçu une dose unique de psilocybine dans un cadre thérapeutique sécurisé. Au cours de la session, chacune a rapporté l’émergence d’événements autobiographiques jusqu’alors absents de sa mémoire consciente, décrits ensuite comme des agressions sexuelles infantiles. Aucun de ces souvenirs n’avait été évoqué durant les entretiens préparatoires.

Les effets cliniques rapportés incluaient une diminution significative des symptômes alimentaires, une amélioration des affects sociaux et un meilleur engagement thérapeutique. Ces évolutions se sont maintenues à trois mois de suivi. Aucune aggravation ni comportement compensatoire n’a été observé. Bien que ce rapport de cas ne permette pas de généralisation, il soulève des questions importantes sur les mécanismes psychiques mobilisés par la psilocybine.

Imperial College : un protocole de faisabilité sans déstabilisation

L’essai pilote conduit par Spriggs et al. (2021) 2 à Londres a évalué la faisabilité et la sécurité d’un protocole impliquant une prise de psilocybine chez des femmes souffrant d’anorexie mentale sévère. Les participantes ont bénéficié d’un suivi nutritionnel strict et de séances d’intégration post-session.

Les résultats préliminaires n’ont montré aucune aggravation des comportements alimentaires, et plusieurs participantes ont rapporté une réduction de la rumination et une meilleure tolérance émotionnelle. Ces observations soutiennent l’idée qu’un tel protocole est envisageable dans un cadre clinique structuré, sous réserve de sélection rigoureuse.

UCSF : un essai contrôlé en cours chez de jeunes adultes

L’étude SPANYA 5, actuellement en cours à l’université de Californie (UCSF), s’intéresse à des jeunes adultes présentant une anorexie résistante au traitement. Le protocole comprend deux sessions de psilocybine espacées de trois semaines, intégrées dans une thérapie de soutien établie.

Ce projet vise à objectiver les effets de la substance sur les symptômes alimentaires, la flexibilité cognitive et les marqueurs physiologiques. Les résultats sont attendus fin 2025. Cet essai constitue une étape importante vers une validation empirique rigoureuse de l’approche, avec un échantillon plus large et un protocole contrôlé.

Une littérature clinique émergente sur les troubles alimentaires

Depuis 2022, les publications se multiplient sur les effets des psychédéliques dans l’anorexie.

Alors que les premières recherches sur les psychédéliques concernaient principalement la dépression ou le trouble de stress post-traumatique, plusieurs revues récentes ont élargi leur champ aux troubles du comportement alimentaire. Une synthèse publiée en 2023 3 souligne la convergence de plusieurs hypothèses : rôle de la mémoire émotionnelle, rigidité cognitive, troubles de l’attachement et stratégies d’évitement émotionnel. Ces facteurs sont fréquemment associés à l’anorexie mentale.

Parallèlement, une autre revue 10 a mis en lumière les défis méthodologiques et éthiques de cette approche, en soulignant l’importance d’un suivi thérapeutique étroit, d’un dépistage rigoureux des contre-indications et de la préparation psychologique. Ces travaux renforcent la nécessité de protocoles encadrés, basés sur une compréhension fine des vulnérabilités propres aux patientes concernées.

Cadre thérapeutique : sécurité, préparation, intégration

La prise en charge nutritionnelle et psychothérapeutique est centrale pour éviter toute dérive.

L’usage de la psilocybine dans un contexte thérapeutique exige un environnement clinique structuré, une équipe formée, et une évaluation rigoureuse des contre-indications. Les personnes souffrant d’anorexie présentent souvent une vulnérabilité physique importante, notamment des carences sévères et des déséquilibres biologiques liés à la dénutrition. Une stabilisation corporelle minimale est indispensable avant toute intervention 1, 2.

Sur le plan psychologique, la préparation joue un rôle central. Elle permet d’aborder les attentes, d’évaluer la capacité d’introspection et de poser un cadre sécurisant. L’intégration post-session vise à relier les contenus émergents à l’histoire personnelle, sans forcer leur interprétation ni valider précipitamment des souvenirs. Plusieurs revues recommandent un accompagnement long, centré sur le sens de l’expérience, sa mise en récit et son articulation avec les objectifs de soin 10.

Freins, limites et questions éthiques

Les faux souvenirs, la vulnérabilité cognitive et l’encadrement réglementaire restent des enjeux majeurs.

Si les effets de la psilocybine sur la mémoire et la cognition peuvent ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques, ils soulèvent aussi des questions éthiques importantes. La réémergence de souvenirs dissociés, bien que potentiellement libératrice, peut fragiliser certaines personnes, surtout en l’absence de repères thérapeutiques solides. Le risque de faux souvenirs induits reste une préoccupation réelle, notamment lorsque les patientes sont exposées à des contenus émotionnels intenses dans un état modifié de conscience 1.

Par ailleurs, l’accès à ces protocoles est limité par un cadre légal encore restrictif, une formation inégale des professionnels et un manque de lignes directrices spécifiques pour les troubles alimentaires. La prudence reste donc de mise. Les données actuelles justifient l’exploration clinique, mais pas une généralisation prématurée.

À quoi pourrait ressembler un parcours thérapeutique combiné ?

Une prise en charge intégrée pourrait combiner psychothérapie, travail corporel, soutien nutritionnel et sessions encadrées.

Dans les formes d’anorexie mentale associées à un vécu traumatique dissocié, une approche intégrative pourrait améliorer l’efficacité du traitement. Un parcours combiné reposerait d’abord sur une stabilisation somatique et un accompagnement nutritionnel adapté. Cette étape conditionne la sécurité de toute intervention ultérieure, notamment en contexte psychédélique.

La préparation psychothérapeutique viserait à renforcer les ressources internes, la tolérance émotionnelle et le sentiment de sécurité relationnelle. Les sessions assistées à la psilocybine, si elles sont proposées, seraient insérées dans une dynamique plus large de traitement, avec un travail d’intégration post-expérience structuré. Des approches complémentaires, comme le travail corporel, les thérapies centrées sur la relation ou les exercices de mise en récit personnelle, pourraient aider à intégrer ce qui a été vécu pendant la session et à poser de nouveaux repères durables.

Ce type de parcours n’existe pas encore sous forme codifiée, mais les recherches en cours en posent progressivement les contours.

Ce qu’il faut retenir de ces avancées cliniques

L’anorexie mentale, notamment dans ses formes chroniques, met en jeu des mécanismes profonds de dissociation, de contrôle et d’évitement émotionnel. En mobilisant la mémoire implicite et la flexibilité cognitive, la psilocybine pourrait faciliter un accès temporaire à des contenus psychiques jusque-là inaccessibles. Les observations cliniques actuelles restent limitées, mais elles posent les bases d’une nouvelle compréhension du trouble, centrée non sur le poids ou l’alimentation, mais sur l’histoire subjective et ses traces somatiques.

Cette perspective n’exclut pas les approches classiques, mais invite à penser des parcours thérapeutiques plus ajustés, plus inclusifs et plus attentifs à la dimension traumatique. À condition de rester rigoureux, prudents et centrés sur les besoins réels des patientes.


🍄 Psilocybine et anorexie : que penser de l’émergence de souvenirs traumatiques en thérapie ?

Des souvenirs enfouis, parfois dissociés, refont surface dans certains protocoles encadrés. Pour les cliniciens, cette dynamique pose des défis éthiques, mais offre aussi une voie d’accès aux racines du trouble.

💬 Qu’en pensez-vous ? Ce type d’approche peut-il contribuer à mieux comprendre et traiter l’anorexie mentale ? Vos retours, questions et observations sont bienvenus en commentaire. 👇


Sources :

  1. Knatz Peck S., Spriggs M.J., al. (2025). Therapeutic emergence of dissociated traumatic memories during psilocybin treatment for anorexia nervosa
  2. Spriggs M.J., et al. (2021). Study protocol for psilocybin as a treatment for anorexia nervosa: a pilot study
  3. Calder A., Mock S., Friedli N., Pasi P., Hasler G. (2023). Psychedelics in the treatment of eating disorders: rationale and potential mechanism
  4. ClinicalTrials.gov (2024). NCT04661514 – Psilocybin therapy for anorexia nervosa (Imperial College London)
  5. ClinicalTrials.gov (2025). NCT06399263 – SPANYA: Psilocybin therapy for refractory anorexia nervosa in young adults (UCSF)
  6. Carhart-Harris R.L., Friston K.J. (2019). REBUS and the anarchic brain: toward a unified model of psychedelic action
  7. Seitzman B.A., et al. (2024). Psilocybin desynchronizes the human brain
  8. Pugh M., Waller G., Esposito M. (2018). Childhood trauma, dissociation, and the internal eating-disorder “voice”
  9. Convertino A.D., Morland L.A., Blashill A.J. (2022). Trauma exposure and eating disorders: results from a United States nationally representative sample
  10. Lacroix E., Fatur K., Hay P., Touyz S., Keshen A., et al. (2024). Psychedelics and the treatment of eating disorders: considerations for future research and practice
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