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Portrait d’une femme âgée les yeux fermés, avec une visualisation lumineuse et stylisée de son cerveau, suggérant l’activité neuronale et la plasticité cérébrale.

Et si la mémoire, l’élan et le lien n’étaient pas définitivement perdus ? Face à Parkinson et Alzheimer, des pistes émergent là où on ne les attendait plus. Les psychédéliques invitent à penser autrement la réparation neuronale.

Parkinson, Alzheimer : même combat au niveau neuronal

Les deux maladies affectent les synapses, la cognition, la motivation et la régulation émotionnelle.

Parkinson et Alzheimer sont souvent perçues comme opposées : l’une perturberait surtout le corps, l’autre l’esprit. Mais sur le plan neurologique, ces frontières s’estompent. Toutes deux sont marquées par une atrophie progressive des connexions neuronales, une inflammation chronique et une réduction de la neuroplasticité.

Inflammation, perte de synapses et rigidité comportementale

Dans les deux pathologies, on observe une dégradation des réseaux neuronaux dans des régions distinctes mais fonctionnellement critiques : l’hippocampe et le cortex entorhinal pour Alzheimer, les ganglions de la base et le cortex préfrontal pour Parkinson. Cette dégénérescence s’accompagne d’une baisse du facteur neurotrophique BDNF, essentiel au maintien et à la création de synapses 3,4.

À mesure que la plasticité se dégrade, la capacité du cerveau à s’adapter, compenser ou se réorganiser diminue. Cela se traduit cliniquement par une rigidité croissante : motrice dans la maladie de Parkinson, mais aussi cognitive, affective et comportementale dans les deux cas.

Des convergences jusque dans les troubles de l’humeur

La dépression et l’anxiété sont courantes dans les deux maladies et participent au cercle vicieux neurodégénératif. Dans Parkinson, ces symptômes peuvent précéder les troubles moteurs de plusieurs années. Dans Alzheimer, ils sont souvent les premiers signes repérables d’une atteinte des circuits fronto-limbiques.

Ces comorbidités suggèrent que le système sérotoninergique, déjà impliqué dans les effets des psychédéliques, joue un rôle transversal. C’est aussi l’un des premiers systèmes à être altéré dans ces pathologies, renforçant l’hypothèse d’un lien thérapeutique possible 3,4.

Des effets biologiques prometteurs sous psychédéliques

La stimulation du BDNF et de la plasticité neuronale est documentée, notamment via les récepteurs 5‑HT2A.

Depuis plusieurs années, les psychédéliques sont étudiés non seulement pour leurs effets subjectifs, mais aussi pour leur impact sur la structure même du cerveau. Chez l’animal, et dans certains modèles cellulaires humains, des composés comme la psilocybine, le DMT ou le LSD favorisent la croissance de nouvelles épines dendritiques, la stabilisation de synapses et une augmentation des connexions fonctionnelles entre neurones 3,4.

Psilocybine, LSD‑like, DMT : quelles cibles moléculaires ?

Ces substances activent principalement les récepteurs sérotoninergiques 5‑HT2A, très présents dans le cortex, et fortement impliqués dans la régulation de l’humeur, de la cognition et de la perception. Leur stimulation déclenche une cascade intracellulaire menant à une augmentation de l’expression du BDNF, et à l’activation de la voie mTOR, connue pour favoriser la croissance synaptique et la neurogenèse 4.

La recherche montre que ces effets surviennent rapidement (en quelques heures), mais qu’ils se maintiennent bien au-delà de la durée de l’expérience psychédélique elle-même. Cette dissociation temporelle alimente l’hypothèse que l’effet thérapeutique dépasse largement le moment du trip, et s’explique par une réorganisation neurobiologique profonde 3.

Modulation de la neuroinflammation et de la plasticité

Au-delà de la croissance synaptique, certains psychédéliques ont montré une action anti-inflammatoire cérébrale. Ils réduisent l’expression de cytokines pro-inflammatoires comme l’IL‑6 ou le TNF‑α, et améliorent la régulation des microglies, les cellules immunitaires du cerveau 3,4. Cette action est d’autant plus pertinente que la neuroinflammation joue un rôle aggravant dans la progression de Parkinson et Alzheimer.

Des effets similaires ont été observés avec l’ayahuasca et certains analogues non hallucinogènes de la psilocybine, suggérant que le potentiel thérapeutique ne dépend pas nécessairement d’une expérience psychédélique intense, mais bien de mécanismes cellulaires sous-jacents 4,7.

Études cliniques en cours chez Parkinson

Deux essais en cours montrent des résultats positifs sur les symptômes moteurs et non moteurs.

Alors que les résultats précliniques des psychédéliques sont prometteurs, la question centrale reste : ces effets peuvent-ils réellement se traduire chez l’humain ? Pour Parkinson, deux études récentes apportent des éléments de réponse. Toutes deux confirment la faisabilité de protocoles à base de psilocybine encadrée, avec des bénéfices cliniques observés dès les premières séances et une tolérance satisfaisante 1,2.

Étude Bradley 2025 : double dose et suivi à 3 mois

Conduite aux États-Unis, cette étude ouverte a inclus 12 patient·es atteints de la maladie de Parkinson à un stade léger ou modéré, tous présentant des troubles de l’humeur : dépression, anxiété, ou les deux. Chaque participant·e a reçu deux doses de psilocybine (10 mg puis 25 mg), accompagnées de séances de psychothérapie 2.

Les résultats montrent une amélioration significative et durable des scores de dépression (MADRS) et d’anxiété (HAM-A), sans aggravation des symptômes moteurs, ni apparition d’effets indésirables graves. Certains bénéfices cognitifs (notamment la mémoire de travail et la flexibilité mentale) ont également été observés. Le tout dans un protocole rigoureux, avec encadrement médical et psychothérapeutique jusqu’à 3 mois après la dernière prise.

Étude Fleury 2025 : acceptation de la maladie et ajustement thérapeutique

Menée en Suisse sur un seul cas documenté, cette étude portait sur une patiente atteinte de Parkinson sans dépression, mais présentant des ruminations anxieuses importantes et un pessimisme marqué face à sa maladie. Après quatre séances de psilocybine haute dose réparties sur un an, la patiente a rapporté une réduction notable de son anxiété, une amélioration de son bien-être général, et surtout une meilleure acceptation de la maladie 1.

Fait notable, cette évolution a permis d’envisager enfin une ajustement de son traitement dopaminergique, auparavant refusé par la patiente. Les scores psychométriques (optimisme, anxiété, humeur) se sont tous améliorés, et les symptômes moteurs sont restés stables. Aucune complication n’a été signalée pendant les séances.

Vers des pistes thérapeutiques pour Alzheimer ?

La transposition clinique n’est pas encore là, mais les données précliniques sont encourageantes.

Si Parkinson semble avoir ouvert la voie aux premières études cliniques encadrées, Alzheimer reste pour l’instant au stade préclinique. Pourtant, les mécanismes d’action observés avec les psychédéliques (notamment la stimulation du BDNF, l’activation de la voie mTOR et la modulation de l’inflammation) sont hautement pertinents dans le contexte de cette maladie neurodégénérative 3,4.

Essais in vitro et in vivo : architecture neuronale et cognition

Des études menées sur des cultures cellulaires et des modèles animaux montrent que certaines substances inspirées des psychédéliques (comme le LSD, la DMT ou des analogues non hallucinogènes) augmentent la densité synaptique, améliorent la transmission neuronale et provoquent une régénération des épines dendritiques, y compris dans le cortex préfrontal et l’hippocampe 3,4.

Des tests comportementaux chez la souris suggèrent également une amélioration de la mémoire spatiale et des capacités d’apprentissage après administration aiguë ou répétée. Ces effets semblent corrélés à une hausse du BDNF et à une activation du récepteur TrkB, qui déclenche une cascade pro-plastique via mTOR et CREB.

Dans des modèles animaux d’Alzheimer, cela se traduit par un ralentissement de la perte cognitive, une réduction des dépôts amyloïdes et une amélioration du comportement exploratoire. Toutefois, ces résultats n’ont pas encore été reproduits chez l’humain.

Des analogues non hallucinogènes à l’étude

Un autre axe de recherche très actif concerne le développement de psychoplastogènes “sûrs”, c’est-à-dire capables de favoriser la plasticité neuronale sans produire d’expérience hallucinatoire. Des composés comme le tabernanthalog ou des dérivés modifiés du LSD sont à l’étude 4.

L’idée est de cibler les récepteurs 5‑HT2A ou TrkB de manière sélective, sans activer les voies perceptuelles associées au “trip”. Ces molécules pourraient représenter une alternative mieux tolérée chez les patient·es âgé·es ou présentant des formes précoces de démence. Les essais cliniques chez l’humain sont encore à venir, mais certains projets sont déjà en phase préparatoire.

Gérer les effets secondaires et les symptômes psychotiques

La question des hallucinations impose une sélection attentive des patients et des protocoles.

L’un des freins majeurs à l’utilisation des psychédéliques dans les maladies neurodégénératives réside dans le risque d’effets indésirables psychiatriques, en particulier chez les personnes vulnérables. Dans la maladie de Parkinson, environ 30 à 40% des patient·es développent des hallucinations visuelles ou auditives au cours de l’évolution 5,6. Ces symptômes peuvent être précoces ou apparaître tardivement, souvent liés à une altération du réseau thalamocortical et à un déséquilibre du système sérotoninergique.

Rôle du thalamus, de la vMMN et des récepteurs 5‑HT2A

Des études récentes suggèrent que les hallucinations dans Parkinson pourraient être liées à une dysrythmie thalamocorticale, un phénomène où la désynchronisation des signaux thalamiques entraîne une activation anormale du réseau par défaut (DMN) 5. Ce phénomène est proche de ce que l’on observe sous psychédéliques, où le cortex visuel devient hyperconnecté à d’autres régions, générant des perceptions sans stimulus extérieur.

Le rôle du récepteur 5‑HT2A est ici central : sa stimulation excessive peut déclencher des effets hallucinatoires, mais son blocage est aussi utilisé pour traiter certaines psychoses. Il s’agit donc d’une cible à double tranchant. L’utilisation de la mismatch negativity visuelle (vMMN), un biomarqueur électrophysiologique de la détection d’erreur sensorielle, a permis d’identifier une corrélation entre la sévérité des hallucinations et l’altération de la vMMN chez les patient·es atteints de Parkinson 6.

Ces données pourraient aider à mieux sélectionner les candidat·es aux thérapies psychédéliques, voire à développer des approches plus ciblées.

Saracatinib, set & setting : des pistes de contrôle

Plusieurs stratégies sont à l’étude pour minimiser les risques psychotiques. Parmi elles, l’utilisation d’agents comme le saracatinib, un inhibiteur de la voie Gi/o associé à la signalisation biaisée des récepteurs 5‑HT2A. Ce composé pourrait permettre d’atténuer les effets hallucinatoires sans bloquer les bénéfices neuroplastiques 6.

Par ailleurs, le “set & setting” reste un paramètre crucial. Les études cliniques récentes ont toutes utilisé un accompagnement psychothérapeutique structuré, dans des environnements sûrs et encadrés. Cette approche limite les réactions anxiogènes ou désorganisées, et permet de maximiser les effets positifs tout en réduisant les risques.

Enfin, la prudence reste de mise : la plupart des essais excluent actuellement les personnes présentant des antécédents de troubles psychotiques, de bipolarité ou de démence sévère.

Ce que la science nous dit aujourd’hui

Les psychédéliques ne sont pas un remède miracle. Mais ils offrent, pour la première fois depuis longtemps, une piste cohérente et biologiquement fondée pour agir à la racine des troubles liés à la neurodégénérescence.

Les résultats précliniques sont solides : augmentation du BDNF, stimulation de la neuroplasticité, régulation des circuits corticaux et diminution de la neuroinflammation. Les études cliniques menées chez des patient·es atteint·es de Parkinson montrent une tolérance satisfaisante, des améliorations émotionnelles durables, et une absence d’aggravation motrice. La transposition à Alzheimer reste en attente, mais les bases biologiques sont là.

Cela dit, des questions majeures demeurent :

  • Quels profils de patient·es pourront bénéficier de ces approches ?
  • Comment encadrer l’usage thérapeutique sans exposer à des risques psychiatriques ?
  • Peut-on isoler les effets bénéfiques sans passer par l’expérience psychédélique elle-même ?

Loin de toute forme de promotion, la recherche actuelle appelle à mieux comprendre, mieux sélectionner, mieux encadrer. Si cette rigueur est maintenue, les psychédéliques pourraient bien, dans les années à venir, changer notre façon de soigner certaines maladies que l’on pensait irréversibles.


🧠 Psychédéliques et maladies neurodégénératives : vers une nouvelle approche ?

Plasticité synaptique, modulation de l’humeur, stabilisation cognitive… Les données s’accumulent autour de la psilocybine et de ses analogues face à Parkinson et Alzheimer.

💬 Et vous, que pensez-vous de l’intégration de ces approches dans un cadre médical rigoureux ?
Les commentaires sont ouverts pour confronter les points de vue, sans tabous ni raccourcis. 👇


Sources:

  1. Fleury, Vanessa et al. (2025). Psilocybin-assisted psychotherapy for Parkinson’s disease without depression: A case-report
  2. Bradley, Ellen R. et al. (2025). Psilocybin therapy for mood dysfunction in Parkinson’s disease: an open-label pilot trial
  3. Kozlowska, Urszula et al. (2021). From psychiatry to neurology: Psychedelics as prospective therapeutics for neurodegenerative disorders
  4. Saeger, Hannah N. & Olson, David E. (2021). Psychedelic-inspired approaches for treating neurodegenerative disorders
  5. Onofrj, Marco et al. (2023). The central role of the thalamus in psychosis, lessons from neurodegenerative diseases and psychedelics
  6. Vignando, Miriam et al. (2024). Visual mismatch negativity in Parkinson’s psychosis and potential for testing treatment mechanisms
  7. Carvalho, Salvana Priscylla Manso et al. (2024). Potential therapeutic use of ayahuasca: A literature review
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