Quand les médicaments habituels ne suffisent plus, la recherche avance une nouvelle hypothèse. La douleur…
La N,N-diméthyltryptamine, plus connue sous le nom de DMT, est souvent décrite comme l’un des psychédéliques les plus puissants et énigmatiques. Capable de provoquer en quelques minutes des expériences d’une intensité rare, elle a longtemps représenté un défi majeur pour la science et un champ d’étude traditionnellement cantonné aux récits anecdotiques. Traduire en données objectives un vécu aussi profondément subjectif semblait une tâche presque impossible. Pourtant, les avancées en neuroimagerie permettent aujourd’hui de commencer à lever le voile sur les mécanismes cérébraux à l’œuvre. Comment la science peut-elle cartographier un état de conscience aussi intense et fugace ? Existe-t-il une signature neuronale unique à l’expérience DMT, ou partage-t-elle des caractéristiques avec d’autres psychédéliques ?
Le connectome harmonique : une nouvelle carte du cerveau
Pour comprendre comment le cerveau fonctionne, des chercheurs l’écoutent comme un orchestre, en décomposant sa musique en notes fondamentales
Pour analyser l’activité cérébrale, il faut d’abord en connaître la carte. Le cerveau n’est pas une masse uniforme. C’est un réseau complexe de régions interconnectées par des voies de matière blanche : le connectome structurel. Cette architecture physique, ce “câblage” unique, est le support de toute communication neuronale. Comprendre comment l’activité se propage sur ce réseau est un enjeu central en neuroscience.
C’est ici qu’intervient une méthode d’analyse rigoureuse : la décomposition en harmoniques du connectome (CHD). L’idée est simple. On analyse l’activité fonctionnelle du cerveau, mesurée par IRMf, en la décomposant en une série de motifs ou “harmoniques” fondamentaux. Ces motifs sont directement dictés par la forme de son connectome. C’est un peu comme décomposer le son complexe d’un violon en ses notes pures. Cette approche transforme les signaux cérébraux du domaine spatial en un domaine de fréquences de connectome.
Ces fréquences se divisent en deux grandes catégories. Les harmoniques de basse fréquence correspondent à des motifs d’activation très larges, qui suivent les grands axes de la structure cérébrale et reflètent une activité globale, synchronisée. À l’inverse, les harmoniques de haute fréquence représentent une activité plus fine et complexe. Elles indiquent que l’activité fonctionnelle diverge de la structure sous-jacente. Des régions peuvent s’activer ensemble même si elles ne sont pas directement connectées. On parle alors d’un découplage entre la fonction et la structure du cerveau.
La DMT réorchestre l’activité cérébrale
Sous DMT, le cerveau ne suit plus les grandes autoroutes de la communication habituelle. Il se met à explorer une infinité de chemins de traverse
C’est précisément ce qu’une équipe de chercheurs a exploré dans une étude publiée en 2025 dans la revue Neuropsychopharmacology 1. En utilisant la décomposition en harmoniques du connectome, ils ont observé en détail comment la DMT réorganise l’activité du cerveau. Les résultats sont clairs et significatifs. L’état induit par la DMT provoque une suppression de l’énergie dans les harmoniques de basse fréquence, celles qui représentent l’activité globale et structurée. Simultanément, il entraîne une augmentation marquée de l’énergie dans les harmoniques de haute fréquence, associées à une activité plus complexe et locale.
Concrètement, cela signifie que sous DMT, l’activité cérébrale se libère des contraintes de son architecture physique. La communication neuronale n’est plus principalement dictée par les grands axes du connectome. Le cerveau entre dans un état de fonctionnement plus flexible, où des régions habituellement peu connectées peuvent interagir de manière plus libre. C’est l’illustration neuronale d’un découplage entre la structure et la fonction, un phénomène qui semble être une caractéristique clé de l’expérience psychédélique.
Une signature commune à tous les psychédéliques ?
Qu’il s’agisse de DMT, de LSD ou de psilocybine, le cerveau semble jouer une partition étonnamment similaire, à l’exact opposé du silence de l’inconscience
L’un des apports majeurs de cette étude est de replacer les effets de la DMT dans un contexte plus large. Les chercheurs ont comparé la signature cérébrale obtenue sous DMT avec des données issues d’études antérieures sur le LSD et la psilocybine. Le résultat est sans équivoque : le profil est quasiment identique. Tous ces psychédéliques dits “classiques” provoquent cette même bascule, une diminution de l’énergie des harmoniques de basse fréquence au profit des hautes fréquences. Cette découverte renforce l’idée qu’il existerait bien une signature neuronale commune, un marqueur biologique de l’état psychédélique sérotoninergique.
Mais la comparaison la plus révélatrice est peut-être celle faite avec les états de perte de conscience. L’étude montre que la signature psychédélique est l’exact opposé de ce qui se passe durant une anesthésie au propofol ou chez des patients atteints de troubles de la conscience. Dans ces états, l’activité du cerveau devient au contraire dominée par les harmoniques de basse fréquence, signe d’un fonctionnement plus rigide et prévisible. L’état psychédélique n’apparaît donc pas comme un simple “bruit” neuronal, mais comme un mode de fonctionnement cérébral distinct, caractérisé par une complexité accrue, à l’autre extrémité du spectre de la conscience.
L’expérience subjective décodée en direct
Pour la première fois, une étude montre que plus l’expérience subjective est intense, plus la signature cérébrale psychédélique est clairement détectable, et ce, minute par minute
L’un des grands avantages de la DMT administrée par voie intraveineuse est sa durée d’action courte et prévisible, contrairement à la psilocybine ou au LSD. Cette particularité a permis aux chercheurs de mettre en place un protocole novateur : pendant l’expérience, les participants ont évalué l’intensité subjective de leurs ressentis à intervalles réguliers. Les scientifiques se sont ainsi retrouvés avec deux courbes à comparer au fil du temps : d’un côté, l’évolution de l’expérience vécue, et de l’autre, l’évolution de l’activité cérébrale mesurée par IRMf.
La question était de savoir si ces deux courbes allaient se superposer. La réponse est un oui retentissant. L’étude a révélé une corrélation positive significative entre l’intensité rapportée par les participants et les deux principaux marqueurs neuronaux identifiés : la différence de spectre énergétique (la fameuse signature psychédélique) et l’entropie du répertoire des harmoniques. Autrement dit, au moment où les participants rapportaient le pic de leur expérience, les marqueurs cérébraux de l’état psychédélique atteignaient eux aussi leur maximum. C’est la première fois qu’un lien aussi direct et dynamique est établi entre le vécu subjectif et une signature cérébrale objective.
Le cerveau entropique, un modèle qui se confirme
Loin d’être un simple chaos, l’état psychédélique serait une augmentation de la “richesse” des états mentaux possibles, une hypothèse que la DMT vient de renforcer
Ces résultats s’inscrivent parfaitement dans un cadre théorique influent : l’hypothèse du cerveau entropique. Ce modèle postule que la richesse de l’expérience consciente est directement liée au niveau d’entropie de l’activité cérébrale. Dans ce contexte, l’entropie n’est pas synonyme de désordre, mais plutôt de diversité, d’imprévisibilité et de flexibilité des états neuronaux. Un cerveau à faible entropie, comme durant le sommeil profond ou l’anesthésie, est rigide et répétitif. À l’inverse, un cerveau à haute entropie est capable d’explorer un répertoire beaucoup plus vaste d’états et de configurations, ce qui correspondrait à une conscience “augmentée”.
L’étude sur la DMT a spécifiquement testé cette hypothèse en mesurant l’entropie du répertoire des harmoniques du connectome. Cette mesure quantifie la diversité des motifs d’activité cérébrale utilisés à un instant T. Conformément aux prédictions, les chercheurs ont observé une nette augmentation de cette entropie sous l’effet de la DMT, par rapport à la condition placebo. Cette hausse est la conséquence directe de la bascule que nous avons décrite : le cerveau passe d’un état dominé par quelques harmoniques de basse fréquence à un état bien plus riche, où une multitude d’harmoniques de haute fréquence contribuent à l’activité globale. Ces résultats apportent un soutien quantitatif et solide au modèle du cerveau entropique.
Au-delà de la DMT : vers une science unifiée de la conscience ?
L’étude des effets de la DMT, grâce à des outils d’analyse comme la décomposition en harmoniques du connectome, offre bien plus qu’un simple aperçu d’un état de conscience modifié. Elle fournit une pièce maîtresse dans le puzzle complexe de la conscience humaine. En démontrant qu’un état psychédélique correspond à une signature neuronale précise, un enrichissement de l’activité cérébrale vers des motifs plus complexes et un découplage de sa structure rigide, la science se dote d’un modèle mesurable. Ce modèle permet de situer l’état psychédélique à l’opposé des états de conscience diminuée, non pas comme un dysfonctionnement, mais comme un mode d’être à part entière.
Les questions posées en introduction trouvent ici leurs réponses. Oui, la science peut désormais commencer à cartographier une expérience subjective intense en corrélant des marqueurs neuronaux objectifs avec le ressenti des participants, et ce, en temps réel. Et non, la signature de la DMT n’est pas unique ; elle est partagée avec d’autres psychédéliques classiques comme le LSD et la psilocybine, définissant ainsi une véritable “famille” d’états de conscience aux propriétés cérébrales communes.
Cette avancée ouvre des perspectives considérables. Si l’on peut quantifier objectivement un état de conscience psychédélique, on pourra peut-être demain mieux comprendre et mesurer d’autres états, de la méditation profonde aux expériences mystiques spontanées. Pour les thérapies assistées par psychédéliques, l’enjeu est de taille : disposer de biomarqueurs objectifs de “l’état psychédélique” pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes thérapeutiques à l’œuvre et d’optimiser les traitements pour les patients. La cartographie de l’esprit, longtemps cantonnée à la philosophie, est peut-être en train de trouver sa boussole scientifique.
💡 La signature neuronale des psychédéliques : et si on pouvait la mesurer en direct ?
Complexité accrue, découplage de la structure, lien direct avec l’expérience… La science confirme que l’état psychédélique est un mode de conscience unique, à l’opposé de l’anesthésie.
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Sources :
- Vohryzek, Jakub et al. (2025). N,N-dimethyltryptamine effects on connectome harmonics, subjective experience and comparative psychedelic experiences
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