Face au burn-out, la thérapie psychédélique n'est pas une solution de performance. En agissant sur la neuroplasticité, elle propose un réalignement profond pour retrouver du sens au travail et sortir de l'épuisement professionnel.
La dissolution de l’ego, ou “expérience océanique”, est souvent décrite comme le Graal de l’exploration psychédélique. C’est ce moment où les frontières entre soi et le monde s’estompent, laissant place à un sentiment d’unité cosmique, de plénitude et de connexion profonde. Dans le cadre des thérapies assistées par psychédéliques, cette expérience est fréquemment associée aux avancées thérapeutiques les plus significatives, offrant une nouvelle perspective sur des traumatismes anciens ou des schémas de pensée rigides. Pourtant, derrière cette promesse de guérison se cache une réalité plus complexe, car le chemin vers la dissolution des frontières n’est pas toujours serein. L’océan peut être calme et accueillant, mais il peut aussi se transformer en une tempête terrifiante, menant à une angoisse de fragmentation psychique. Étonnamment, même les expériences les plus difficiles sont souvent perçues comme bénéfiques : une vaste enquête a révélé que 84% des personnes interrogées estiment avoir tiré un profit de leur pire “bad trip”.
Pourquoi une même expérience peut-elle mener certains à une révélation libératrice et d’autres à une angoisse de désintégration ? Quels sont les facteurs qui déterminent si la perte de l’ego sera une source d’extase ou de terreur ?
Freud contre Jung : régression infantile ou quête de soi ?
Simple illusion infantile pour Freud, rencontre transformatrice pour Jung. La nature de l’expérience océanique a divisé la psychanalyse.
Le débat a commencé bien avant l’ère des psychédéliques. C’est l’écrivain Romain Rolland qui interpelle Sigmund Freud avec ce qu’il nomme le “sentiment océanique”. Il décrit une sensation d’éternité, une union indissoluble avec le monde. La réponse de Freud est tranchante. Dans Malaise dans la civilisation (Das Unbehagen in der Kultur – 1930), il qualifie ce sentiment d’illusion régressive. Pour lui, il s’agit d’un simple retour à un état infantile, quand le nourrisson ne se distingue pas encore de son environnement. L’expérience océanique n’est donc qu’un vestige. C’est une régression pathologique, non une percée spirituelle 1.
Son dissident, Carl Gustav Jung, a offert une perspective radicalement différente. Il n’a pas repris le terme, mais ses travaux sur les expériences mystiques décrivent un phénomène similaire. Pour Jung, cette dissolution de l’ego n’est pas une régression. C’est une rencontre transformatrice avec l’inconscient collectif, cette psyché profonde que nous partageons tous. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais d’un pas en avant. Une étape cruciale du processus d’individuation, le chemin vers la réalisation de soi. Ces moments sont souvent chargés d’une puissance sacrée, à la fois fascinante et terrifiante. Ils sont des marqueurs de transformation 1. Là où Freud voyait une porte se fermer sur le passé, Jung en voyait une s’ouvrir sur les potentiels les plus profonds de l’être humain.
Quand les artistes explorent les frontières de la psyché
Pour l’artiste, la perte de soi est une muse à double visage : elle peut inspirer le génie ou mener à la folie.
Le théoricien de l’art Anton Ehrenzweig a vu dans le sentiment océanique une clé du processus créatif. Pour lui, la perspicacité artistique naît souvent d’un effondrement temporaire de la pensée structurée. Loin d’être pathologique, cette désintégration permet à l’esprit d’accéder à un mode de perception plus fluide, où l’inconscient peut réorganiser des fragments d’impressions en un tout cohérent et nouveau 1. Cet état de transition est une source de génie. Mais c’est aussi une crête dangereuse.
L’histoire de l’art regorge d’exemples de cette tension. Les portraits de chats de Louis Wain, devenus de plus en plus abstraits et kalédoscopiques au fil du temps, suggèrent une perte de la réalité structurée, une fusion perceptive qui évoque à la fois l’immersion océanique et la fragmentation psychotique. Vincent van Gogh, dans un chef-d’œuvre comme La Nuit étoilée, a canalisé une énergie sensorielle et émotionnelle intense. Son ciel tourbillonnant oscille entre la transcendance extatique et une profonde instabilité psychique. Enfin, l’écrivain et poète Antonin Artaud a décrit dans ses textes des états d’absorption cosmique qui ressemblent fortement à des expériences océaniques, mais qui sont presque toujours accompagnées de terreur, d’angoisse et de désintégration 1.
Ces cas illustrent la nature précaire de ces états. Ils ne sont ni purement mystiques, ni simplement pathologiques. Ce sont des expériences psychologiquement chargées, situées sur la frontière instable entre la vision créatrice et l’effondrement psychique.
Comment la science distingue l’extase de l’angoisse
L’intensité d’un “bad trip” peut prédire ses bienfaits. La science nous aide à comprendre ce paradoxe.
Une expérience intérieure peut-elle être mesurée ? La science a tenté de cartographier ces territoires subjectifs. Elle a développé des outils pour distinguer les nuances entre l’extase et l’angoisse. L’un des plus utilisés est l’échelle “Altered States of Consciousness” (ASC). Cet outil psychométrique permet de quantifier l’expérience et a révélé deux dimensions opposées. D’un côté, la “Plénitude Océanique” (Oceanic Boundlessness), qui décrit les sentiments d’unité et de béatitude. De l’autre, la “Dissolution Anxieuse de l’Ego” (Anxious Ego Dissolution), qui correspond à une perte de soi déstabilisante et angoissante 1. Cette distinction le montre bien : la dissolution de l’ego n’est pas un phénomène unique. Sa coloration émotionnelle, positive ou négative, change tout.
Mais une étude à grande échelle vient ajouter une fascinante complexité. En interrogeant près de 2000 personnes sur leur pire “bad trip”, des chercheurs ont fait une découverte paradoxale 4. Le degré de difficulté d’une expérience est positivement lié à ses bénéfices durables. Autrement dit, une épreuve psychologique intense et confrontante est souvent vue, avec le recul, comme plus riche en enseignements. En revanche, la durée de cette difficulté est, elle, négativement liée à ces mêmes bénéfices. Une expérience difficile qui s’éternise sans résolution tend à laisser des traces négatives, ou du moins à diminuer les bienfaits ressentis.
Le message est subtil mais puissant. Le potentiel thérapeutique ne viendrait pas de la simple exposition à la difficulté, mais de la capacité à la traverser pour en ressortir. Une confrontation intense, même brutale, qui mène à une résolution ou à une “percée émotionnelle” est bénéfique. À l’inverse, rester bloqué des heures dans un état d’angoisse sans issue est contre-productif. Ce n’est donc pas l’intensité de l’épreuve qui est néfaste, mais le fait de rester enlisé dedans. La véritable clé de la transformation réside dans notre capacité à naviguer la tempête, pas seulement à y survivre.
Le cadre thérapeutique, un gouvernail dans la tempête
Le hasard n’a pas sa place. Le contexte et l’accompagnement déterminent si l’océan intérieur sera guérisseur ou déstabilisateur.
Alors, comment s’assurer de traverser cette épreuve en sécurité ? La recherche clinique moderne a une réponse claire. Elle repose sur un cadre strict et bienveillant, résumé par le concept de “set and setting“. Le “set” désigne l’état d’esprit de la personne, ses intentions et ses attentes. Le “setting” fait référence à l’environnement physique et interpersonnel 5. Les études le confirment : sans confort physique ni soutien social, le risque que l’expérience devienne dangereuse augmente considérablement 4. Le danger n’est pas la substance elle-même, mais les comportements qui peuvent découler d’une panique ou d’une paranoïa non contenues. C’est pourquoi la thérapie assistée par psychédéliques ne laisse rien au hasard.
Tout commence par une sélection rigoureuse des participants. Les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de troubles psychotiques sont systématiquement exclues pour minimiser les risques 5. Ensuite, une phase de préparation est essentielle. Elle consiste en plusieurs rencontres avec les thérapeutes. Ces séances permettent de construire un lien de confiance fondamental et de préparer la personne à la nature des expériences qu’elle pourrait vivre. On lui explique comment accueillir les moments difficiles, non pas en luttant, mais en se laissant traverser par eux 3, 5.
L’environnement de la séance lui-même est conçu pour être un cocon. Il s’agit souvent d’une pièce confortable, semblable à un salon, loin de l’ambiance clinique anxiogène d’un hôpital. C’est un espace sûr. Pendant toute la durée de l’expérience, le patient est accompagné par un ou deux thérapeutes. Leur rôle n’est pas de diriger, mais d’offrir une “présence empathique” 3. Ils sont des ancres. Par un geste simple, comme tenir une main, ou par des mots rassurants, ils rappellent à la personne qu’elle est en sécurité et que l’état est temporaire 5. C’est cette présence qui permet de ne pas rester “enlisé” dans la peur. Elle offre le soutien nécessaire pour faire face à l’épreuve, la traverser et la transformer en une “guérison relationnelle” 2.
Apprivoiser la vague intérieure
La dissolution de l’ego n’est pas une destination, mais un point de départ. Sa véritable valeur réside dans ce que l’on en fait après.
L’expérience océanique n’est donc ni une simple régression pathologique, ni une extase mystique garantie. C’est avant tout une expérience-frontière. Elle nous pousse aux limites de notre conception habituelle de nous-mêmes et du monde 1. Son issue, guérison ou déstabilisation, n’est pas écrite d’avance. Elle dépend entièrement de notre capacité à intégrer ce qui a été vécu.
Comme nous l’avons vu, la confrontation avec des émotions difficiles, voire terrifiantes, peut être une puissante source de transformation. À condition d’être accompagnée. Le cadre thérapeutique agit comme un filet de sécurité. Il permet de s’abandonner à l’expérience en sachant que l’on sera rattrapé. C’est ce qui transforme une chute potentiellement traumatisante en un plongeon libérateur.
Finalement, le but n’est pas de rechercher l’extase ou de fuir la terreur. Le but est d’accueillir ce qui émerge. Car c’est dans cette rencontre, qu’elle soit lumineuse ou sombre, que se trouve l’opportunité d’une reconnexion profonde : avec soi, avec les autres et avec le monde 2. La dissolution de l’ego n’est pas une fin en soi. Sa véritable puissance se révèle après, dans la reconstruction patiente d’un soi plus entier, plus souple et plus conscient.
💡 Dissolution de l’ego : expérience de guérison ou risque psychologique ?
L’expérience océanique promet une connexion profonde, mais sa nature double, entre extase et angoisse, soulève des questions essentielles sur le cadre thérapeutique. Et si la clé n’était pas l’expérience elle-même, mais la manière de la traverser ?
🧠 Et vous, pensez-vous que ces états-frontières sont une voie de guérison ? Lequel des deux aspects, l’extase ou la terreur, vous semble le plus déterminant dans un processus de soin ?
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Sources :
- Unterrainer, Human-Friedrich. (2025). Oceanic states of consciousness-an existential-neuroscience perspective
- Guthrie, Leland. (2021). A Phenomenology of Challenging Psychedelic Experiences: From Relational Trauma to Relational Healing
- Phelps, Janis. (2017). Developing Guidelines and Competencies for the Training of Psychedelic Therapists
- Carbonaro, Theresa M. et al. (2016). Survey study of challenging experiences after ingesting psilocybin mushrooms: Acute and enduring positive and negative consequences
- Johnson, Matthew W. et al. (2008). Human Hallucinogen Research: Guidelines for Safety
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