Les psychédéliques sont de retour en thérapie, mais leur sécurité reste un point aveugle. Cet article explore pourquoi et comment mesurer les effets indésirables devient essentiel pour garantir une pratique encadrée.

Les psychédéliques ne cessent de surprendre les chercheurs. Si leurs effets immédiats sont de mieux en mieux compris, une autre facette intrigue : ces effets positifs qui perdurent bien après la séance. Vitalité, inspiration, ouverture émotionnelle… Ce que certains appellent l’”afterglow” pourrait bien être une clé essentielle dans l’efficacité thérapeutique de ces substances.
Un phénomène fascinant, longtemps laissé sans mesure
Des effets positifs durables après une séance psychédélique ? La science leur donne enfin un nom… et une méthode pour les évaluer.
Des semaines après une expérience psychédélique marquante, il arrive que certaines personnes témoignent d’un regain d’énergie, d’une clarté mentale inhabituelle ou encore d’une capacité accrue à apprécier les choses simples. Ces effets bénéfiques, parfois subtils mais souvent puissants, constituent ce que la littérature appelle l’”afterglow psychédélique” : une période post-expérience marquée par une amélioration du bien-être émotionnel, cognitif et relationnel.
À la différence des effets aigus, ceux ressentis pendant l’expérience psychédélique elle-même, l’afterglow s’étale sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et semble agir comme un écho prolongé de l’expérience initiale. Il est souvent décrit comme une période de plasticité psychologique, où les émotions sont plus accessibles, les pensées plus fluides, et les comportements plus malléables.
Ce phénomène, bien que fréquemment rapporté par les usagers comme par les praticiens, restait jusqu’à récemment peu documenté sur le plan scientifique. Faute d’outil rigoureux pour le mesurer, il demeurait cantonné aux témoignages et aux impressions subjectives. Un paradoxe étonnant, quand on connaît l’importance que l’afterglow pourrait avoir dans le processus thérapeutique : certains chercheurs y voient une fenêtre d’opportunité pour l’intégration psychologique, voire une composante active des bénéfices à long terme des thérapies assistées par les psychédéliques 1.
Un concept ancien remis au goût du jour
L’afterglow n’est pas nouveau : il apparaît dès les premières recherches des années 60, mais restait alors purement qualitatif.
Si le mot “afterglow” a pris de l’ampleur ces dernières années dans le vocabulaire psychédélique, ses racines plongent dans les premiers travaux cliniques menés au milieu du XXe siècle. Dès les années 1960, des chercheurs comme Walter Pahnke et Stanislav Grof rapportaient des témoignages décrivant des états d’ouverture émotionnelle et d’harmonie persistants après des séances de LSD ou de psilocybine. Ces récits, bien que détaillés, demeuraient anecdotiques et n’étaient pas systématiquement analysés dans le cadre d’études longitudinales rigoureuses.
Le terme “afterglow” lui-même apparaît dans les publications scientifiques dès les années 1980, mais reste mal défini et peu standardisé 2. Il évoque alors un état psychologique positif post-expérience, sans qu’on en précise la durée, la cause ou la variabilité selon les substances. À l’époque, les psychédéliques étant encore largement bannis du champ médical, la recherche sur leurs effets prolongés stagne.
Avec le renouveau psychédélique initié dans les années 2010, la question de l’intégration post-séance revient au centre des préoccupations thérapeutiques. Les praticiens observent que certains effets bénéfiques se prolongent bien au-delà de la session elle-même, mais aucun outil ne permet encore de les évaluer objectivement. C’est dans ce vide méthodologique que s’inscrit la création de l’Afterglow Inventory (AGI), un instrument qui vise à transformer cette notion floue en un concept mesurable.
L’inventaire AGI : une avancée méthodologique majeure
L’AGI marque un tournant : il permet de quantifier cinq dimensions clés de l’afterglow avec rigueur et cohérence.
Longtemps intuitif, l’afterglow psychédélique dispose désormais d’un outil de mesure validé scientifiquement. En 2025, une équipe dirigée par Timo Majić a développé et validé l’Afterglow Inventory (AGI), un questionnaire destiné à quantifier les effets subaigus positifs d’une expérience psychédélique 3.
Un objectif clair : mesurer les bienfaits durables
L’AGI a été conçu pour évaluer les effets positifs ressentis dans les jours ou semaines suivant une prise de substance psychédélique, au-delà de la phase aiguë. Ces effets incluent à la fois des dimensions psychologiques, émotionnelles, sociales et spirituelles.
Une construction rigoureuse
L’outil a été élaboré à partir d’un panel de 10 items issus de la littérature et affinés via une analyse factorielle auprès de 282 participants ayant récemment consommé des psychédéliques (LSD, psilocybine, ayahuasca, DMT…). Le modèle final retient 5 dimensions principales :
- Vitalité et énergie
- Aspects transpersonnels et spirituels
- Créativité accrue
- Amélioration des relations interpersonnelles
- Connexion à la nature
Ces dimensions recoupent fidèlement les effets décrits dans les témoignages subjectifs des usagers, tout en apportant une grille d’évaluation fiable, cohérente et reproductible.
Des différences selon les substances et l’expérience vécue
Les résultats montrent que l’intensité de l’afterglow varie selon la substance utilisée. Par exemple, les utilisateurs d’ayahuasca et de psilocybine rapportent des effets post-expérience plus marqués que ceux du LSD ou du DMT. Autre donnée intéressante : l’intensité émotionnelle de l’expérience aiguë (mesurée par d’autres échelles) est fortement corrélée à l’intensité de l’afterglow mesurée par l’AGI. En revanche, les effets négatifs subaigus sont très peu rapportés dans cette phase, ce qui renforce l’idée d’un profil globalement positif de l’afterglow 3.
L’AGI se distingue également par sa capacité à prédire le sentiment subjectif de bénéfice retiré de l’expérience psychédélique, ce qui en fait un outil potentiellement précieux pour les praticiens souhaitant suivre l’évolution de leurs patients au fil du temps.
Mesurer pour mieux accompagner : perspectives cliniques
L’AGI ouvre la voie à un suivi thérapeutique plus fin : les effets subaigus peuvent désormais être évalués et valorisés.
La mise en place de l’AGI ne constitue pas seulement une avancée pour la recherche. Elle offre aussi des perspectives concrètes pour la pratique thérapeutique. En permettant de mesurer les effets positifs persistants après une séance, ce nouvel outil aide les praticiens à mieux comprendre, suivre et accompagner leurs patients dans la phase d’intégration.
Car l’afterglow n’est pas un simple “bonus” euphorique : il constitue souvent une période de grande réceptivité psychologique, propice à l’introspection, à la verbalisation et aux ajustements comportementaux. En thérapie, c’est un moment clé où le patient peut ancrer les prises de conscience vécues sous substance.
Un outil pour enrichir l’intégration thérapeutique
L’AGI permet de dresser un profil post-séance objectif, complémentaire aux récits subjectifs du patient. Il peut aider à repérer :
- la rémanence d’effets bénéfiques ;
- leur évolution dans le temps ;
- la concordance (ou non) avec les objectifs thérapeutiques initiaux.
Cette mesure structurée renforce la capacité des thérapeutes à adapter l’accompagnement, que ce soit en intensifiant le soutien verbal ou en proposant des pratiques complémentaires (méditation, art-thérapie, travail corporel…).
Des limites à garder en tête
Comme tout outil auto-déclaratif, l’AGI reste soumis à des biais (mémoire, désirabilité sociale…). Il ne remplace pas l’échange clinique mais le complète. De plus, il ne mesure que les effets positifs : les effets indésirables, ou les défis post-séance, nécessitent d’autres outils d’évaluation.
Reste que cette approche marque un tournant : pour la première fois, le suivi thérapeutique post-psychédélique dispose d’un cadre évaluatif standardisé, capable de nourrir à la fois la pratique clinique et la recherche scientifique 3.
Et après l’afterglow ?
L’afterglow ne serait qu’un début : il pourrait prédire les effets durables d’une expérience psychédélique bien accompagnée.
L’un des enjeux les plus passionnants autour de l’afterglow est son potentiel prédictif. Ce que l’AGI permet aujourd’hui de mesurer quelques jours ou semaines après l’expérience pourrait, demain, servir de repère pour anticiper les effets thérapeutiques à long terme.
Plusieurs études suggèrent en effet que l’intensité et la qualité de l’afterglow sont liées à l’ampleur des bénéfices cliniques durables, notamment dans le traitement de la dépression résistante ou du TSPT 4. Il est donc possible que cette phase de “rémanence positive” joue un rôle de médiateur entre l’expérience aiguë et la transformation psychologique profonde qui s’en suit.
Un marqueur d’efficacité thérapeutique ?
Si cette hypothèse se confirme, l’afterglow pourrait devenir un indicateur précoce de succès thérapeutique, permettant d’évaluer rapidement si un protocole est efficace ou non. Cela offrirait aux équipes cliniques un levier précieux pour ajuster le suivi post-séance, renforcer l’intégration ou proposer un nouveau cycle thérapeutique.
Mais pour valider ce rôle prédictif, il faudra des études longitudinales solides, sur des échantillons cliniques suivis plusieurs mois après l’intervention. C’est l’un des axes de recherche que l’équipe de Majić appelle de ses vœux.
Une nouvelle ère pour l’étude des effets prolongés
L’afterglow psychédélique, longtemps cantonné aux récits subjectifs, entre désormais dans le champ de la mesure rigoureuse. Grâce à l’inventaire AGI, chercheurs et praticiens disposent d’un outil fiable pour évaluer les effets subaigus positifs qui suivent une expérience psychédélique.
Cette avancée ouvre des perspectives concrètes : mieux comprendre les dynamiques de transformation post-expérience, affiner l’accompagnement thérapeutique et, peut-être demain, anticiper les bénéfices durables à venir. En mettant en lumière ce “rayonnement différé” des substances psychédéliques, la science nous rappelle que ce qui compte ne se joue pas seulement pendant le voyage… mais aussi dans ce qui reste, longtemps après.
Sources:
- Majić, Timo et al. (2025). The Afterglow Inventory (AGI): Validation of a new instrument for measuring subacute effects of classic psychedelics
- Wikipedia. Afterglow (drug culture)
- Psychedelic Passage. (2025). What is the Psychedelic Afterglow Period?
- Breeksema, J. J. et al. (2023). The subacute and long-term effects of classic psychedelics: A systematic review of 48 studies
💡 Psychédéliques : et si les effets les plus puissants venaient après ?
Clarté mentale, regain d’énergie, sentiment de connexion… L’afterglow pourrait être l’une des clés des bienfaits thérapeutiques des psychédéliques. Et maintenant qu’on peut le mesurer, tout change.
🧠 Et vous, avez-vous déjà ressenti cet “écho” post-expérience ? Pensez-vous qu’il pourrait jouer un rôle actif dans un processus de soin encadré ?
💬 Partagez vos impressions en commentaire ! Vos témoignages, questions et doutes sont précieux pour faire avancer le débat autour des thérapies psychédéliques. 👇
S’abonner
0 Commentaires
Le plus ancien