Les psychédéliques provoquent un sentiment de vérité absolue (qualité noétique). Ce n'est pas une simple "révélation", c'est un outil thérapeutique. Le rôle du thérapeute est crucial pour intégrer cette conviction et éviter le choc ontologique.
La plupart des souffrances psychologiques, qu’il s’agisse de dépression ou d’anxiété sévère, reposent sur une stratégie de défense commune : la fuite face à la douleur. Nous passons une grande partie de notre vie à ériger des murs pour ne pas ressentir la tristesse ou la peur. En thérapie assistée par les psychédéliques, l’intention ne consiste pas à faire un vœu magique pour aller mieux. Elle représente une posture active, un engagement technique à faire l’inverse de notre réflexe habituel : se tourner vers ce qui fait peur plutôt que de s’en détourner.
Pourquoi nos mécanismes de défense habituels deviennent-ils contre-productifs, voire dangereux sous l’effet de ces substances ? Comment une simple intention de “lâcher prise” peut-elle transformer une expérience potentiellement terrifiante en une percée thérapeutique majeure ?
L’évitement expérientiel : quand fuir la douleur nous emprisonne
Avant même de parler de substance, il faut comprendre l’ennemi silencieux de la santé mentale : notre tendance innée à fuir ce qui nous fait mal, créant ainsi une prison psychologique invisible.
En psychologie clinique et particulièrement dans le modèle des thérapies cognitivo-comportementales, ce phénomène porte un nom : l’évitement expérientiel. Il désigne toutes les tentatives conscientes ou inconscientes pour supprimer, modifier ou fuir des pensées, des émotions ou des souvenirs jugés désagréables 1. Sur le moment, cette stratégie semble efficace. Ne pas penser à un traumatisme ou boire un verre pour oublier une angoisse procure un soulagement immédiat.
Ce soulagement temporaire piège le cerveau dans un cercle vicieux. En évitant l’émotion négative, nous lui donnons paradoxalement plus de pouvoir et nous réduisons notre champ d’action. La vie devient une série de stratégies d’évitement plutôt qu’une existence vécue pleinement. Dans une thérapie classique par la parole, il est encore possible pour le patient de contourner ses zones d’ombre, d’intellectualiser ou de changer de sujet. Le psychédélique, lui, retire cette porte de sortie.
L’effet loupe : pourquoi vos défenses ne fonctionnent plus sous psychédéliques
Sous psychédéliques, tenter de supprimer une émotion difficile ne fait que l’amplifier. Ce phénomène de “sensibilité à l’évitement” force le patient à faire un choix radical : lutter ou accepter.
L’état de conscience modifié induit par des substances comme la psilocybine crée un phénomène neurobiologique particulier nommé “sensibilité à l’évitement” (Avoidance Sensitivity) 1. Dans cet état, le cerveau devient extrêmement réactif au contexte interne. Si une image effrayante ou une angoisse surgit et que le patient tente de la repousser par évitement (comme il le ferait habituellement), le résultat est contre-intuitif : l’émotion ne disparaît pas, elle s’intensifie. C’est comme se débattre dans des sables mouvants. Plus vous vous agitez pour fuir, plus vous vous enfoncez. La seule stratégie de survie est contre-intuitive : s’allonger, s’étaler, et accepter le contact avec la surface pour ne pas couler.
C’est ce que les chercheurs appellent la “resurgence” 1. Les barrières mentales habituelles s’effondrent et ce qui était réprimé remonte avec force. Le cadre thérapeutique (le “setting”), incluant souvent le port d’un masque sur les yeux et l’écoute de musique, est conçu pour favoriser cette introspection forcée en limitant les distractions visuelles externes 2. Privé d’échappatoire sensorielle, le patient ne peut plus détourner le regard. Lutter contre cette vague émotionnelle provoque souvent une anxiété accrue, voire une panique, car le mécanisme de fuite habituel est désactivé par la pharmacologie même du produit.
“Faire face au monstre” : l’intention comme mécanisme de sécurité
L’intention n’est pas un outil de contrôle, mais une boussole pour traverser la tempête. Adopter une posture d’ouverture transforme la nature même de l’expérience vécue.
C’est ici que l’intention thérapeutique joue son rôle crucial. Elle se résume souvent par un mantra simple enseigné lors des séances de préparation : “Aie confiance, Lâche prise, Sois ouvert” (Trust, Let go, Be open) 2. Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une injonction spirituelle vague, mais d’une consigne de sécurité psychologique technique. Elle prépare le cerveau à ne pas réagir par la peur face à l’inconnu.
Prenons l’image clinique d’un patient confronté à une hallucination effrayante, un “monstre” symbolisant son anxiété. S’il fuit, le monstre grandit. Si, guidé par son intention préalable, il choisit de se tourner vers la créature, de la regarder ou même de lui demander “que veux-tu me montrer ?”, la dynamique change instantanément. Souvent, la peur retombe et laisse place à une émotion de tristesse, de compréhension ou de compassion 1.
Ce basculement repose sur un mécanisme d’apprentissage puissant : le conditionnement opérant. Le cerveau apprend en temps réel que l’approche et l’acceptation réduisent la souffrance, tandis que l’évitement l’augmente. Cette expérience viscérale, rendue possible par l’intention initiale, vaut souvent plus que des années d’analyse intellectuelle pour désamorcer les réflexes de peur.
💡 Comment formuler une intention qui fonctionne ?
Une intention n’est pas un objectif de performance (“Je dois guérir aujourd’hui”). C’est une direction donnée à l’expérience, une boussole pour naviguer. Pour être efficace, elle doit respecter quelques principes clés :
- Positive (Aller vers) : Formulez ce que vous souhaitez accueillir plutôt que ce que vous voulez fuir.
- À éviter (Fuite) : “Je ne veux plus avoir peur.”
- À privilégier (Approche) : “J’accueille le calme“, “Je cultive la confiance” ou “Montre-moi la racine de ma peur“.
- Ouverte (Invitation) : Laissez de la place à l’inattendu. Utilisez des verbes d’invitation plutôt que de commande.
- Exemples : “Montre-moi…“, “Aide-moi à comprendre…“, “Je suis ouvert à…“, “J’accueille ce qui vient…“.
- Simple (Ancrage) : En pleine expérience, les phrases complexes s’oublient. Une intention peut se résumer à un mot ou une phrase courte qui sert d’ancrage quand l’esprit s’égare.
- Exemples : “Confiance“, “Ouverture“, “Amour“, “Courage“, “Lâcher prise“.
- Question (Exploration) : Une intention peut aussi prendre la forme d’une question sincère posée à soi-même ou à l’expérience.
- Exemples : “Qu’y a-t-il derrière cette colère ?“, “Que dois-je voir maintenant ?“, “Qui suis-je sans cette peur ?“.
De l’expérience à la compétence : réapprendre à ressentir
L’objectif n’est pas seulement de passer un bon moment, mais de rééduquer le cerveau. L’intention tenue pendant la séance se cristallise en une compétence durable : la flexibilité psychologique.
Cette confrontation réussie avec les émotions difficiles est facilitée par ce que le modèle REBUS nomme la relaxation des croyances 4. Sous l’effet de la substance, les convictions rigides du patient (“je ne peux pas supporter cette tristesse”, “cette angoisse va me détruire”) s’assouplissent. Le cerveau, devenu temporairement plus plastique, peut alors mettre à jour ses prédictions : il constate que l’émotion a été ressentie pleinement et que, contre toute attente, il a survécu.
En traversant l’expérience sans être détruit par elle, le patient développe sa flexibilité psychologique 3. Il ne cherche plus à supprimer le symptôme à tout prix, mais apprend à agir en accord avec ses valeurs, même en présence d’émotions difficiles ou douloureuses. L’intention posée au départ (ex: “J’accueille ce qui vient“) devient alors une compétence de vie. Le travail d’intégration qui suit les séances sert précisément à ancrer cette nouvelle posture dans le quotidien : accepter de ressentir pour pouvoir enfin vivre.
Une nouvelle posture face à la souffrance
L’intention en thérapie psychédélique agit donc comme un antidote biologique et comportemental à l’évitement. La guérison observée dans ces protocoles ne provient pas de l’effacement magique des traumas ou des symptômes. Elle émerge de la capacité retrouvée du patient à naviguer à travers ses propres paysages émotionnels, armé de la certitude nouvellement acquise qu’il peut faire face à ce qui se trouve en lui.
🧠 L’intention : plus qu’un vœu, une stratégie neurobiologique ?
Nous avons vu que poser une intention ne sert pas à “commander” le voyage, mais à désactiver les réflexes de fuite qui alimentent l’anxiété. C’est une compétence active qui s’apprend.
🛡️ Et vous, quelle est votre stratégie face aux émotions difficiles ? Avez-vous tendance à les combattre ou à les observer ? Pensez-vous qu’un cadre sécurisé pourrait vous aider à changer cette dynamique ?
💬 Partagez votre expérience en commentaire ! Vos retours sont essentiels pour démystifier le travail thérapeutique profond qui s’opère bien au-delà de la prise de substance. 👇
Sources :
- Wolff, Max et al. (2020). Learning to Let Go: A Cognitive-Behavioral Model of How Psychedelic Therapy Promotes Acceptance
- Barber, Gregory S. & Aaronson, Scott T. (2022). The Emerging Field of Psychedelic Psychotherapy
- Holas, Paweł & Kamińska, Justyna. (2023). Mindfulness meditation and psychedelics: potential synergies and commonalities
- Villiger, Daniel. (2022). How Psychedelic-Assisted Treatment Works in the Bayesian Brain
S’abonner
0 Commentaires
Le plus ancien
