La biosynthèse permet de produire des psychédéliques en laboratoire à partir de micro-organismes. Une avancée qui interroge les liens entre nature, thérapie et spiritualité et redéfinit ce que ces substances signifient dans un cadre médical ou symbolique.

Les psychédéliques suscitent un regain d’intérêt en psychiatrie, notamment pour traiter des troubles résistants comme la dépression sévère ou le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT). Mais malgré l’enthousiasme, la question des effets indésirables reste sous-explorée. Que se passe-t-il lorsqu’un patient vit une crise d’angoisse, une élévation marquée de la tension artérielle ou une perturbation de l’humeur après la séance ? Ces réactions, souvent qualifiées d’effets secondaires, méritent une attention plus systématique. Mieux les documenter, c’est poser les bases d’une utilisation clinique sûre et responsable.
Des promesses, mais aussi des risques
L’enthousiasme ne doit pas masquer les signaux d’alerte, chaque molécule a son revers, même en cadre contrôlé.
Les thérapies assistées par les psychédéliques (TAP) s’inscrivent dans un contexte d’impasse thérapeutique pour de nombreux patients atteints de dépression résistante, de TSPT ou d’autres troubles sévères. Plusieurs essais contrôlés ont mis en évidence des améliorations rapides et prolongées, ce qui suscite un fort intérêt clinique et institutionnel.
Mais ces résultats encourageants ne doivent pas occulter une réalité plus délicate : Des substances comme la psilocybine, le LSD ou la MDMA modifient profondément la perception, les émotions et l’état mental. Même en présence d’un cadre thérapeutique structuré, il est possible d’observer des réactions aiguës d’anxiété, des pertes de repères, ou des manifestations somatiques transitoires.
Dans le langage de la recherche clinique, ces réactions sont qualifiées d’effets indésirables (adverse events). Pourtant, comme le notent Schruers et Leibold (2025) 1, leur évaluation reste inégale d’un protocole à l’autre : certains essais ne les mesurent qu’a posteriori, d’autres ne précisent pas les outils utilisés. Cette fragilité méthodologique compromet l’évaluation réelle du risque et pose question sur la faisabilité d’un passage vers la pratique courante.
Que dit la science sur les effets indésirables ?
Rythme cardiaque, idées noires, troubles digestifs ou crises d’angoisse : les effets indésirables des psychédéliques sont bien réels, mais souvent mal suivis.
Les études cliniques montrent que les psychédéliques peuvent provoquer des réactions aussi bien physiques que psychologiques, surtout lorsque les doses augmentent. Ces effets sont généralement temporaires, mais ils ne doivent pas être négligés.
Ce que l’on observe avec le LSD
Dans un essai mené sur 83 participants sains, Holze et son équipe 2 ont identifié plusieurs effets indésirables après prise de LSD à différentes doses :
- Anxiété intense chez 30% des participants ayant reçu 200µg (microgrammes);
- Effets désagréables importants chez 13% des personnes à forte dose ;
- Hausse de la tension artérielle (plus de 140 mmHg chez près de 50%) ;
- Accélération du rythme cardiaque (plus de 100 battements/min chez 25%) ;
- Température corporelle élevée (plus de 38°C dans un tiers des cas à 200µg).
Ces réactions sont souvent transitoires, mais elles justifient une surveillance étroite pendant la séance.
Les données sur la MDMA
Une revue systématique de plusieurs essais avec la MDMA montre un taux global d’effets indésirables de 42,5% 3, parmi lesquels :
- Fatigue importante après la séance ;
- Insomnie ou difficultés à récupérer ;
- Nausées et tensions musculaires ;
- Sauts d’humeur ou anxiété passagère.
Ces effets sont souvent qualifiés de “légers à modérés”, mais ils peuvent être mal vécus par certains patients.
Ce que montre la recherche sur la psilocybine
Dans les essais français et européens en cours, les effets les plus fréquents incluent 4, 5 :
- Nausées, maux de tête, instabilité émotionnelle ;
- Pensées angoissantes ou désorientation temporaire ;
- Réactions physiologiques suivies en temps réel (tension, pouls, humeur) ;
- Un suivi psychologique prolongé est prévu dans certains protocoles (jusqu’à 12 mois).
🔎 Zoom : réglementation européenne
Depuis janvier 2025, le règlement européen CTR impose un suivi harmonisé dans tous les essais cliniques. Toute étude impliquant une substance psychédélique doit :
- Être enregistrée dans la base CTIS ;
- Intégrer un protocole de suivi des effets indésirables ;
- Documenter et rendre publics les événements indésirables 7, 8, 9.
À ce jour, seule l’esketamine (Spravato) dispose d’une autorisation de mise sur le marché pour un usage thérapeutique, dans le traitement de la dépression résistante 13. Les autres substances restent limitées à la recherche clinique.
Mesurer, c’est protéger : le cadre de suivi idéal
Avant, pendant, après, chaque étape d’un protocole assisté par les psychédéliques doit inclure un suivi rigoureux pour garantir la sécurité des patients.
La sécurité des psychédéliques ne repose pas seulement sur la qualité de la substance ou l’expérience des thérapeutes. C’est le cadre de suivi, étape par étape, qui permet de détecter, prévenir et traiter les effets indésirables. Ce monitoring ne doit pas être laissé au hasard.
Avant la séance : poser des repères de base
Un bilan médical et psychologique complet est essentiel. Il permet de repérer les contre-indications, d’établir un état de référence, et d’anticiper les facteurs de vulnérabilité :
- Mesures de base : tension artérielle, rythme cardiaque, température corporelle ;
- État émotionnel et mental : questionnaires validés pour mesurer l’anxiété, l’humeur ou les pensées suicidaires ;
- Contexte personnel : état de fatigue, événements récents, environnement social.
Ces éléments servent de point de comparaison pour identifier les effets du traitement, qu’ils soient positifs ou problématiques 1.
Pendant la séance : surveiller en continu
Le suivi en temps réel repose sur une combinaison d’observations cliniques et de mesures physiologiques automatiques :
- Tension artérielle et pouls surveillés à intervalles réguliers ;
- Évaluation de l’anxiété et de l’intensité de l’expérience ;
- Présence constante d’un professionnel formé, dans une posture d’observation bienveillante et sans intrusion.
Certaines recommandations plaident pour la présence d’un observateur indépendant, distinct du thérapeute, pour garantir une meilleure objectivité 1.
Après la séance : prolonger la vigilance
Les effets indésirables ne s’arrêtent pas toujours à la fin de la séance. Il est donc crucial de maintenir un suivi dans les jours et semaines qui suivent :
- Appels de suivi dans les 48 à 72 heures ;
- Échelles d’auto-évaluation de l’humeur et des troubles du sommeil ;
- Évaluation des changements émotionnels, cognitifs ou comportementaux sur plusieurs semaines.
Certaines équipes, comme celle du protocole COMP006 à Paris, vont plus loin avec un suivi structuré sur 12 mois, incluant des entretiens réguliers et des questionnaires normés 5.
Facteurs de vulnérabilité : sexe, âge, antécédents
Le risque n’est pas le même pour tout le monde. Certains profils semblent plus sensibles aux effets indésirables des psychédéliques.
La recherche met en évidence des différences de tolérance selon plusieurs critères. Le sexe biologique, l’âge, mais aussi l’histoire personnelle ou médicale du patient influencent l’intensité des réactions observées. Ces facteurs doivent être pris en compte avant toute administration, et intégrés dans les protocoles de suivi 1.
Sexe : une sensibilité plus marquée chez les femmes
Des études récentes suggèrent que les femmes présentent des effets plus intenses, plus précoces ou plus prolongés, même après ajustement selon le poids corporel 10, 11. Parmi les observations les plus fréquentes :
- Anxiété aiguë dans les premières heures ;
- Réduction de l’appétit plus marquée ;
- Variabilité hormonale possible, notamment en lien avec le cycle menstruel.
Certaines hypothèses évoquent l’interaction entre les œstrogènes et les récepteurs sérotoninergiques, mais des études supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les mécanismes en jeu.
Antécédents médicaux et psychiatriques
Selon Schruers et Leibold, les patients ayant des antécédents de troubles psychiatriques sont plus susceptibles de présenter des effets indésirables lors d’une thérapie assistée par les psychédéliques 1. Cela concerne en particulier ceux ayant :
- Des antécédents de TSPT non traités ;
- Une vulnérabilité à l’anxiété aiguë ;
- Des expériences antérieures non intégrées avec substances psychoactives.
Ces situations appellent une préparation renforcée et un encadrement thérapeutique plus structuré pour réduire les risques de déstabilisation.
Âge, neuroplasticité et récupération
Bien que les données restent limitées, plusieurs études suggèrent que les personnes âgées sont plus sensibles aux effets physiologiques des psychédéliques, notamment au niveau cardiovasculaire 2. Même chez des participants jeunes et en bonne santé, les chercheurs ont observé :
- une tension artérielle parfois fortement élevée pendant la séance, ce qui peut poser problème chez des personnes plus âgées ou ayant des antécédents cardiaques ;
- une accélération du cœur au-delà des seuils recommandés pour le repos, signe d’une stimulation physiologique importante ;
- une fatigue durable après la prise, parfois ressentie plusieurs jours durant, ce qui peut compliquer la récupération chez des profils fragiles.
Ces observations justifient un suivi plus étroit pour les personnes âgées, avec un encadrement spécifique et, si besoin, une adaptation des doses.
🔎 Zoom : les données liées au sexe
Dans plusieurs essais contrôlés, les femmes rapportent plus fréquemment des effets secondaires digestifs, anxieux ou physiques légers après administration de MDMA ou de LSD 10, 11. Ces différences persistent même après ajustement des doses selon le poids corporel. Ces données soulignent l’importance de stratégies différenciées selon le sexe, notamment en matière de suivi et de prévention des réactions indésirables.
L’enjeu d’une adoption clinique responsable
Passer du laboratoire au cabinet impose des standards clairs. Normaliser le suivi des effets indésirables est une étape indispensable.
Les thérapies assistées par les psychédéliques suscitent de plus en plus d’intérêt dans le monde médical. Mais pour que ces traitements quittent le cadre expérimental et intègrent la pratique clinique, il est essentiel de poser des fondations solides sur le plan de la sécurité. Cela passe par des critères partagés, une documentation systématique des effets indésirables, et une formation adaptée des professionnels 1.
Mieux encadrer les essais et leur suivi
Aujourd’hui encore, les protocoles d’étude présentent des écarts importants dans la manière de détecter, enregistrer et analyser les effets secondaires. Certains ne les signalent que s’ils sont graves, d’autres utilisent des échelles imprécises ou inadaptées.
Pour éviter ces biais, plusieurs chercheurs appellent à :
- Utiliser des outils validés, faciles à comprendre pour les patients ;
- Standardiser les temps de suivi (avant, pendant, après) ;
- Combiner les ressentis subjectifs avec des données cliniques mesurées 1.
Cette approche permettrait d’avoir des bases de comparaison fiables d’un protocole à l’autre.
Former les cliniciens à la sécurité psychédélique
À mesure que les recherches avancent, de plus en plus de soignants s’intéressent à ces approches. Mais aujourd’hui, peu de programmes de formation abordent les spécificités cliniques liées aux psychédéliques, que ce soit en termes de suivi, de risques ou d’encadrement thérapeutique 1.
Les instituts de formation devront intégrer :
- Les bases pharmacologiques des principales substances ;
- Les risques selon les profils (sexe, âge, antécédents) ;
- Les protocoles de suivi avant, pendant et après la séance.
Cette absence de cadre pédagogique structuré a déjà été pointée dans les travaux sur l’hétérogénéité des pratiques cliniques et la nécessité d’une standardisation accrue 1.
Une pression citoyenne pour aller plus vite
En février 2025, une initiative citoyenne européenne baptisée PsychedeliCare 12 a été déposée auprès de la Commission européenne. Elle réclame :
- Un cadre commun pour encadrer les essais cliniques dans les 27 États membres ;
- Un accès facilité à ces thérapies pour les patients résistants aux traitements classiques ;
- Une augmentation du financement public pour soutenir la recherche.
Ce mouvement montre que la société civile est prête à avancer, mais cela renforce aussi la responsabilité des institutions scientifiques et médicales pour garantir un déploiement sûr.
Ce que la sécurité change pour l’usage thérapeutique des psychédéliques
Les effets indésirables liés aux psychédéliques ne doivent ni être exagérés, ni minimisés. Ce sont des réactions possibles, parfois bénignes, parfois plus complexes, qui méritent d’être observées, comprises et encadrées. En les intégrant dès la conception des protocoles, la recherche ouvre la voie à une pratique plus éthique, plus sécurisée, et mieux acceptée.
Car une adoption clinique responsable ne repose pas seulement sur l’efficacité. Elle dépend aussi de notre capacité à :
- Identifier les profils à risque ;
- Accompagner les patients au-delà de la séance ;
- Former les thérapeutes aux effets spécifiques de ces substances.
Aux Etats-Unis, le rejet par la FDA en 2024 de la demande d’autorisation pour la MDMA dans le traitement du TSPT a rappelé une réalité : sans garanties de sécurité solides, même les données d’efficacité peuvent être jugées insuffisantes 14.
Cette vigilance, loin de ralentir le déploiement des psychédéliques en santé mentale, constitue un passage obligé vers une intégration durable et légitime.
⚠️ Psychédéliques : et si la sécurité conditionnait tout le reste ?
Suivi médical, encadrement émotionnel, anticipation des effets secondaires… La manière dont on surveille les réactions aux psychédéliques pourrait bien définir leur avenir thérapeutique.
🩺 Et vous, pensez-vous que ces précautions sont suffisantes ? Avez-vous vécu, observé ou entendu parler d’expériences où le suivi faisait la différence ?
💬 Partagez vos impressions en commentaire ! Vos témoignages, questions ou réflexions comptent pour construire une approche plus sûre et plus juste. 👇
Sources :
- Schruers, K.R.J.; Leibold, N.K. (2025). Psychedelic-assisted psychotherapy: The need to monitor adverse events
- Holze, F. et al. (2022). Safety pharmacology of acute LSD administration in healthy subjects
- Colcott, J. et al. (2024). Side-effects of MDMA-assisted psychotherapy: A systematic review & meta-analysis
- Centre Hospitalier Univ. de Nîmes (2024). Psilocybin in Alcohol Use Disorder with Comorbid Depression (PAD Study) – ClinicalTrials.gov
- King’s College London & Compass Pathways (2024). COMP006 – Phase III COMP360 psilocybin for treatment-resistant depression
- Charité Universitätsmedizin Berlin (2023). EPIsoDE: Efficacy and Safety of Psilocybin in Treatment-Resistant Major Depression
- European Parliament & Council (2014). Regulation (EU) No 536/2014 on clinical trials of medicinal products
- European Medicines Agency (2025). ACT-EU: Interactive Clinical Trial Map launched on CTIS
- ANSM (2025). FAQ – Fin de la période transitoire CTR et obligations promoteurs
- O’Connor, S. et al. (2025). Potential differences in psychedelic actions based on biological sex
- Psychedelic Support (2024). Sex differences in psychedelic responses
- European Citizens’ Initiative (2025). “PsychedeliCare” – Initiative for safe & accessible PAT
- European Medicines Agency (2019–2025). EPAR – Spravato (esketamine): Assessment & safety updates
- U.S. Food & Drug Administration (2024). Psychopharmacologic Drugs Advisory Committee – MDMA meeting materials
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