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Boîte et dispositif nasal de Spravato (eskétamine) dosé à 28 mg, présentés sur fond de drapeau portugais vert et rouge, avec armoiries nationales au centre.

Le 7 mai 2025, l’Infarmed, autorité du médicament portugaise, a approuvé le remboursement de l’eskétamine en spray nasal (Spravato) pour le traitement des dépressions majeures résistantes. Cette décision s’inscrit dans un mouvement global de réévaluation des substances psychotropes, et marque une première en Europe : l’intégration partielle d’un psychédélique dans le système de santé publique. Que sait-on vraiment de cette molécule dérivée de la kétamine ? Et pourquoi suscite-t-elle autant d’intérêt pour les patients qui ne répondent plus aux traitements classiques ?

Infarmed officialise l’accès

Le 7 mai 2025, l’agence portugaise rembourse l’eskétamine pour les dépressions réfractaires.

Le Portugal est devenu l’un des premiers pays européens à intégrer un médicament à base de psychédélique dans son système de santé publique. Par décision de l’Infarmed, l’eskétamine, commercialisée sous le nom de Spravato, peut désormais être prescrite et remboursée dans les hôpitaux pour le traitement des épisodes dépressifs majeurs résistants. Cette décision concerne les patients adultes ayant échoué à au moins trois traitements antidépresseurs différents et pour lesquels une électroconvulsivothérapie (ECT) est contre-indiquée ou refusée.

La décision de financement, rendue publique le 7 mai 2025, est formalisée par un avis de déféré hospitalier publié par l’Infarmed 1. Ce document indique que l’eskétamine pourra être utilisée en complément d’un antidépresseur oral, dans un cadre hospitalier sous surveillance médicale renforcée. La prescription doit être assurée par un psychiatre et l’administration strictement encadrée par le protocole national.

Le rapport public d’évaluation 2, long de plus de 170 pages, justifie cette approbation sur la base de plusieurs éléments : le besoin thérapeutique non couvert chez les patients atteints de dépression résistante, les preuves cliniques d’efficacité à court terme, et un ratio coût/efficacité jugé acceptable dans le cadre du système national de santé (SNS). Le rapport précise également les limites méthodologiques des essais cliniques, les effets indésirables les plus fréquents (dissociation, vertiges, nausées) et les mesures de réduction du risque mises en place.

Des origines en laboratoire

Isolée en 1962, la kétamine a révélé son énantiomère S, l’eskétamine, plus actif et plus maniable.

La kétamine a été synthétisée pour la première fois en 1962 par le chimiste américain Calvin Stevens, dans le but de créer un anesthésique à la fois rapide, efficace et moins délirant que la phencyclidine (PCP). Initialement développée par les laboratoires Parke-Davis, elle a été testée sur l’humain dès 1964, puis approuvée comme anesthésique général aux États-Unis en 1970. En contexte chirurgical et militaire, notamment durant la guerre du Viêt Nam, son usage s’est largement répandu en raison de son profil de sécurité et de sa facilité d’administration.

L’eskétamine est une version plus ciblée de la molécule d’origine. Elle correspond à ce que l’on appelle un énantiomère, c’est-à-dire l’une des deux formes symétriques possibles d’une molécule, un peu comme la main gauche par rapport à la main droite. Ce type de structure, dite chirale, peut modifier l’intensité et la spécificité de l’action d’un médicament dans l’organisme. L’eskétamine, aussi appelée S(+) kétamine, possède une affinité deux fois plus élevée pour les récepteurs NMDA du glutamate, impliqués dans les fonctions cognitives et émotionnelles. Résultat : des effets plus marqués, une élimination plus rapide, et un profil dissociatif potentiellement mieux contrôlé que la kétamine standard.

Utilisée comme anesthésique dès 1997 en Allemagne, l’eskétamine a été progressivement étudiée pour ses propriétés antidépressives. Aujourd’hui, elle est administrée sous forme de spray nasal, ce qui permet un dosage précis, une absorption rapide par la muqueuse nasale et une application encadrée en milieu hospitalier 8.

Pourquoi choisir l’eskétamine ?

Potence rapide, posologie ajustable, profil de sécurité étudié face à la kétamine.

Si l’eskétamine suscite autant d’intérêt dans le traitement des dépressions résistantes, c’est en grande partie en raison de son effet rapide, souvent observable en quelques heures, là où les antidépresseurs classiques exigent plusieurs semaines. Ce mécanisme d’action passe par un blocage transitoire des récepteurs NMDA, ce qui entraîne une cascade de signaux favorisant la plasticité synaptique. Autrement dit, l’eskétamine contribue à restaurer une activité neuronale plus flexible, en lien avec l’amélioration de l’humeur et des fonctions cognitives.

Par rapport à la kétamine racémique, l’eskétamine offre plusieurs avantages pharmacologiques. Son affinité plus sélective pour les cibles cérébrales permet d’obtenir un effet antidépressif à des doses plus faibles, avec un temps d’action plus court et un pic d’effet mieux prévisible. Ces caractéristiques facilitent une administration en milieu contrôlé, notamment sous forme de spray nasal, tout en limitant certains effets secondaires (désorientation, augmentation de la tension artérielle, nausées) par un ajustement fin des doses 5, 6.

Enfin, les autorités sanitaires ont jugé que l’eskétamine, par sa formulation standardisée et son mode d’administration encadré, présentait un risque de mésusage significativement réduit par rapport à la kétamine injectable, plus difficile à surveiller dans un cadre ambulatoire. C’est ce qui a permis sa reconnaissance en tant qu’option thérapeutique dans des protocoles hospitaliers, en complément d’un antidépresseur oral.

Un dossier européen déjà solide

L’EPAR décrit indications, pharmacovigilance et plan de gestion des risques.

L’eskétamine en spray nasal a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) centralisée par l’Agence européenne des médicaments (EMA) en décembre 2019. Cette AMM couvre tous les pays de l’Union européenne, dont le Portugal, et repose sur un dossier clinique et réglementaire complet, évalué dans le cadre de l’European Public Assessment Report (EPAR) 3.

Selon l’EMA, l’eskétamine est indiquée pour les adultes atteints d’un épisode dépressif majeur résistant au traitement, c’est-à-dire n’ayant répondu à aucune des deux dernières lignes d’antidépresseurs au cours de l’épisode actuel. L’administration doit être associée à un antidépresseur oral (ISRS ou IRSN), et strictement encadrée en milieu médical spécialisé, en raison de la possible apparition d’effets secondaires tels que des états dissociatifs transitoires, une élévation de la tension artérielle ou des troubles anxieux 4.

L’EMA a également exigé la mise en place d’un plan de gestion des risques (RMP), avec un suivi renforcé des prescriptions, la formation des professionnels de santé, la distribution contrôlée du médicament et la déclaration systématique des effets indésirables. Ces mesures visent à prévenir les usages détournés, notamment dans des contextes non médicaux, et à assurer un usage thérapeutique conforme aux objectifs cliniques.

Essais pivots et méta-analyses

Les études phase 3 confirment l’efficacité supérieure au traitement standard.

L’évaluation clinique de l’eskétamine repose notamment sur les résultats de l’étude ESCAPE-TRD, publiée en 2023 dans le New England Journal of Medicine 5. Cet essai randomisé en double aveugle a comparé l’efficacité de l’eskétamine (en spray nasal, combinée à un antidépresseur oral) à celle de la quetiapine à libération prolongée, également associée à un antidépresseur, chez 676 patients souffrant de dépression résistante.

Les résultats ont montré que 27,1% des patients traités par eskétamine avaient atteint une rémission des symptômes à la huitième semaine, contre 17,6% dans le groupe quetiapine. De plus, le taux d’arrêt prématuré du traitement était significativement plus faible dans le groupe eskétamine, traduisant une meilleure tolérance globale. Les effets indésirables les plus fréquents comprenaient des sensations de dissociation, des vertiges et des nausées, généralement transitoires et modérés.

Une revue systématique et méta-analyse publiée dans EClinicalMedicine en 2023 a confirmé ces données 6. En analysant plus de 25 études cliniques, les auteurs ont conclu que l’eskétamine et la kétamine étaient associées à une réduction significative des symptômes dépressifs dès les premières 24 à 48 heures, avec un effet globalement supérieur au placebo. Toutefois, la variabilité des réponses reste importante selon les patients, et les bénéfices à long terme demeurent encore partiellement documentés. L’étude souligne aussi la nécessité de protocoles intégrés, combinant administration pharmacologique et suivi psychothérapeutique structuré.

Accès au Portugal : mode d’emploi

Remboursée, mais réservée à l’hôpital pour les patients après trois lignes d’échec.

Selon la décision du 7 mai 2025 publiée par l’Infarmed 1, l’eskétamine est désormais prise en charge dans le cadre hospitalier pour les patients atteints de dépression majeure résistante. Pour être éligible, le patient doit remplir plusieurs critères cumulatifs définis dans le rapport public d’évaluation 2 :

  • Être âgé de plus de 18 ans ;
  • Présenter un épisode dépressif majeur diagnostiqué selon les critères CIM-10 ;
  • Ne pas avoir répondu à au moins trois antidépresseurs différents, administrés de façon adéquate pendant l’épisode actuel ;
  • Avoir refusé une électroconvulsivothérapie (ECT) ou présenter une contre-indication à celle-ci.

L’eskétamine (Spravato) doit être administrée sous supervision médicale directe, en hôpital ou en centre autorisé. Le protocole prévoit une phase d’induction de quatre semaines, à raison de deux administrations hebdomadaires, suivie d’une phase d’entretien dont la fréquence dépend de la réponse clinique. À chaque séance, la pression artérielle est contrôlée avant et après l’administration, et le patient doit rester en observation pendant au moins 2 heures.

Le coût de traitement, bien que significatif pour le système de santé portugais, a été jugé acceptable par les autorités sur la base d’un rapport coût/efficacité positif, notamment en comparaison avec les hospitalisations prolongées ou les traitements alternatifs lourds comme l’ECT. L’ensemble du processus est encadré par un réseau restreint d’établissements habilités, afin d’assurer la traçabilité du médicament et la formation des équipes soignantes.

Enjeux éthiques et avenir psychiatrique

De la stigmatisation à la formation, l’eskétamine annonce une psychiatrie de précision.

L’introduction de l’eskétamine dans le champ thérapeutique soulève plusieurs questions éthiques, économiques et cliniques. D’abord, son association à la famille des psychédéliques peut encore susciter des réticences, tant du côté des patients que des professionnels. Le terme “psychédélique”, bien que justifié du point de vue pharmacologique, reste chargé d’une histoire culturelle et réglementaire qui pèse sur la perception publique. L’acceptation du traitement passe donc par un effort de clarification et de pédagogie, notamment auprès des médecins généralistes et des psychiatres non spécialisés.

Du point de vue économique, le coût du traitement reste élevé par rapport aux antidépresseurs traditionnels. Toutefois, les évaluations de l’Infarmed montrent que son usage ciblé, limité aux cas les plus graves, pourrait réduire les coûts indirects liés aux rechutes, aux hospitalisations longues ou à l’incapacité fonctionnelle. L’intégration de ce médicament au sein du système public portugais constitue un test grandeur nature pour d’éventuelles extensions à d’autres pays européens.

Enfin, cette avancée relance les débats sur l’évolution des pratiques psychiatriques. L’eskétamine ne se substitue pas à un suivi psychothérapeutique ; elle s’inscrit dans une logique de soin combiné, où l’effet pharmacologique doit être accompagné d’un cadre relationnel et clinique structuré. Cette approche préfigure une transition vers une psychiatrie dite de précision, adaptée au profil de chaque patient, à ses résistances, à son vécu et à son environnement.

Une avancée sous conditions strictes

L’intégration de l’eskétamine dans le protocole hospitalier portugais marque une étape décisive dans l’encadrement médical des substances psychédéliques. Elle témoigne de la possibilité d’un usage ciblé, fondé sur des critères cliniques rigoureux, et intégré à une stratégie de soin structurée. Ce choix réglementaire ouvre des perspectives, mais impose également des exigences claires en matière de formation, de surveillance, et de responsabilité thérapeutique.


💊 Psychédélique ou traitement de pointe ?

Encadrée par un protocole hospitalier strict, l’eskétamine marque une nouvelle étape dans la prise en charge des dépressions majeures résistantes. Entre efficacité rapide, surveillance renforcée et cadre éthique, son usage soulève de nouveaux enjeux pour la psychiatrie publique.

🧠 Et vous, que pensez-vous de cette intégration dans le système de soin ? Son profil justifie-t-il un usage encadré plus large à l’échelle européenne ?

💬 Partagez vos réflexions en commentaire. Vos avis, interrogations et expériences sont essentiels pour nourrir le débat sur les traitements émergents. 👇


Sources :

  1. Infarmed. (2025). Financement hospitalier : Spravato (eskétamine)
  2. Infarmed — DATS. (2025). Rapport public d’évaluation – Spravato (eskétamine)
  3. European Medicines Agency. (2019). Spravato – European Public Assessment Report (EPAR)
  4. European Medicines Agency. (2019). Spravato – Résumé des caractéristiques du produit (SmPC)
  5. Reif A. et al. (2023). Esketamine Nasal Spray versus Quetiapine for Treatment-Resistant Depression
  6. Nikolin S. et al. (2023). Ketamine and Esketamine for Major Depression: Systematic Review & Meta-analysis
  7. U.S. Food and Drug Administration. (2019). NDA 211243 – Spravato (eskétamine) Approval Package
  8. Wikipédia. Eskétamine – Wikipédia
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